Frère

Arrivé dans la rue qui longeait le palais de Sharra, le prince s'engagea dans une ruelle à sa gauche, lieu assez sombre en raison de son étroitesse. Là l'attendaient ses onze guerriers et amis, qui l'escortaient dans tous ses déplacements, et partageaient sa vie depuis le premier jour où le soleil avait réchauffé sa peau. C'était une tradition dans la famille royale de la grande forêt, onze compagnon, pas plus, pas moins, liés par un serment. La fidélité et la protection était leurs principaux idéaux, et la mort de l'un d'entre eux provoquait une peine telle qu'il n'était pas rare de voir les autres dépérir puis mourir à leur tour, ou alors venger avec une violence aveugle leur compagnon disparu...

A la grande surprise d'Ervin, ses guerriers n'étaient pas au rendez-vous. Il n'y avait qu'un silhouette encapuchonnée, à moitié dissimulée dans l'ombre.

- Chercherais-tu quelqu'un seigneur ? demanda l'inconnu.

Puis à ces mots le capuchon tomba, et Ervin resta frappé de stupeur. En face de lui se tenait un elfe qui lui ressemblait énormément, même yeux, même cheveux... un peu plus courts, avec un visage qui rappelait le sien.

- Eagh ? balbuta-t-il.

- Ma présence ne te réjouie pas grand frère ?

- Qu'est-ce que tu fais ici ? lâcha Ervin avec agressivité.

- Allons, pourquoi tant d'animosité ? ironisa l'autre.

- Où sont mes guerriers ?

- Ils poursuivent les miens... ils les ont un peu... provoqué.

Agacé, fulminant, Ervin se détourna de son frère et s'apprêta à retourner au palais de Sharra.

- Tu fuis Ervin ! Tu as toujours fuis ! lâcha Eagh méprisant.

Ervin n'arrivait pas à se contenir, il serrait les poings à s'en faire saigner les mains, et gardait les yeux résolument fixés sur le sol. Que pouvait-il faire ? Ses guerriers étaient quelque part dans Fééris, il ne pouvait s'aventurer à l'aveuglette dans la ville sans avoir la moindre idée du lieu où ils se trouvaient, de plus on l'attendait dans le palais de Sharra. Aussitôt il pensa à Myrna, et cela le calma un peu. Il arriva sur une petite place pavée où trônait une fontaine, il s'approcha et s'assit sur le bord du bassin. Lorsqu'il vit son visage reflété dans l'eau, il ne put s'empêcher de revoir les traits de son frère cadet, et d'un geste de colère il plongea la main dans le bassin pour faire disparaître son image. Eagh... Pourquoi était-il à Fééris ? Simplement pour le provoquer ? Certes leur querelle était profonde, ayant pour origine le droit d'aînesse qui poussait Ervin à gouverner dans un avenir plus ou moins proche, mais la grande forêt était loin de le capitale, aurait-il fait tout ce chemin pour un but si dérisoire ? Alors qu'il ruminait ses pensées, la silhouette sombre d'Eagh s'était approché de lui, lorsqu'Ervin s'en aperçut, il se leva d'un bond et s'écria :

- Mais enfin qu'est-ce que tu me veux ?

L'autre ne répondit pas tout de suite, dévisageant l'héritier au trône de la grande forêt.

- Arrêtons là le jeu si tu veux bien, notre père m'a envoyé ici pour s'assurer que la princesse Savadja était saine et sauve, et qu'elle était en route pour son royaume. Ce n'est apparament pas le cas...

- Bien sûr que si ! l'interrompit Ervin d'un ton glacial. Mais la reine Sharra nous a invité pour la nuit, je ne peux pas refusé ! De plus elle compte faire route avec nous, il faudrais donc prévenir notre père de l'arrivée de la souverraine des cinq mondes.

- Et bien heureusement que je suis là ! Tu ne semblais pas très pressé d'envoyer un messager.

- J'attirerai ton attention sur le fait que mes guerriers ont disparu pour l'instant, j'aurais donc du mal à leur donner des ordres !

Eagh ne put s'empêcher de sourire, mais cela fut bref.

- Comment est-elle ?

Ervin sentit monter en lui la colère, car il se savait trop bien de qui voulait parler son cadet. Et sans vraiment comprendre pourquoi, cela l'agaçait d'entendre son frère s'y intérresser.

- De qui parles-tu ?

- De la princesse évidemment ! Il paraît que c'est une vrai sauvage ! Mais je voudrais ton avis, comment est-elle ?

Cette fois, Ervin crut qu'il ne réussirait pas à se contrôler. Ses poings se serrèrent à nouveau, mais il répondit, d'une voix qu'il tenta de rendre égale :

- On ne t'a pas menti, elle est farouche et bonne guerrière, mais cela ne l'empêche pas d'être de sang royal, et donc respectable...

Eagh éclata de rire.

- Je te reconnais bien là ! Toujours droit et modéré ! Mais j'aimerais bien la voir avant de repartir... je vais venir avec toi, avec un peu de chance je me ferai invité par Sharra moi aussi !

Ervin s'emporta, il enpoigna le col de son frère avec une violence qui surprit celui-ci.

- Je te l'interdis.

- Très bien, très bien.

Le cadet se libéra, puis repartit sur ses pas. Avant de disparaître dans la foule, il se retourna et dit :

- Elle doit vraiment être jolie cette princesse...

Puis sa silhouette sombre se fondit dans le flot des habitants de la capitale.

Ervin n'avait put s'empêcher de sourire à l'écoute de la dernière remarque de son frère. Mais bien vite il remua ses pensées, et repatit en direction du palais de Sharra. Alors qu'il marchait, toujours le regard sur le sol, il fut accosté par un autre elfe, un peu plus grand que lui. Il avait les cheveux courts, et les yeux noisettes.

- Seigneur Ervin !

- Radian ?

Reconnaissant l'un de ses guerriers, le prince hésita entre les remontrances et les embrassades.

- Où sont les autres ?

- Ici.

Ervin ne dit rien. Ce n'était pas parce qu'il ne les voyait pas qu'ils n'étaient pas là... Ils étaient réputés dans tout Fééria pour être les êtres les plus discrets de ce monde.

- Vous n'étiez pas au rendez-vous ! fit remarquer le prince.

- Nous avons eu un... empêchement.

Ervin sourit, il n'avait pas le coeur à leur en vouloir.

- Vous avez des ordres à nous donner Seigneur ?

- Non. Eagh étant ici, il rapportera tout à mon père... et en détail.

Il pensa encore à la phrase de son frère, elle résonnait dans sa tête, lui montrant toujours le joli visage de Myrna.

- Vous allez bien ? s'inquiéta Radian. Où est la princesse Savadja ?

- Je vais bien... et elle aussi. Elle s'entretient avec la reine Sharra.

Le guerrier scrutait le visage de son maître avec inquiétude, celui-ci lui sourit pour le rassurer, puis baissa encore les yeux.

- Votre frère vous aime Seigneur, il s'en souviendra un jour.

Lorsqu'Ervin releva la tête, surpris de ce que venait de dire son compagnon, il ne vit que la foule de Fééris. Le guerrier avait disparu. Décidement, il ne s'y ferait jamais !

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