Rencontres insolites

Le ciel était sombre, comme de l'encre, et les étoiles, très brillantes dans cette nuit sans lune, semblaient être des trous de lumières dans la voûte céleste. Trachant dans ce décor de cauchemar, un dragonne, bleue et blanche, planait silencieusement dans les airs. Son vol, gracieux comme celui d'un hirondelle, ralentit puis celle-ci commença à descendre doucement. Elle atterit avec souplesse sur le sol meuble et verdoyant des plaines. Dans la nuit, les plaines de Fééria étaient aussi froides et silencieuses qu'un cimetière, les herbes grasses ondoyant doucement sous la brise légère. La dragonne, ayant choisi le couvert d'un arbre pour se reposer, se coucha et se roula en boule tel un chat. Tellement de questions trottaient dans sa tête, ce ne sera pas ce soir qu'elle pourra enfin dormir. Ses aventures de la journée lui revinrent en mémoire: elle n'était pas passée inaperçue, en menaçant tous ceux qu'elle croisait afin d'en savoir plus sur ce dragon aquatique apparu aux alentours des Iles. Un petit rire la secoua à la tête qu'avait fait les marchands ambulants en voyant débouler un dragon vers leur étalage et leur imposer sous peine de destruction de leurs stocks, de dévoiler tout ce qu'ils savaient. La dragonne se souvint alors ce qui l'avait poussée à faire ce voyage. Son père, l'ayant laissée seule alors qu'elle était encore dans le ventre de sa mère, devait lui expliquer pourquoi il lui avait fait subir toutes ces années, exclue du clan. La dragonne se mit à jouer avec un arbrisseau qui se tenait près d'elle, ce genre de réflexion la rendait nostalgique. Puis d'un mouvement brusque, casse l'arbrisseau en deux, son père n'aurait pas du faire ce qu'il a fait, elle lui ferai payer en lui montrant et lui faisant ressentir tout ce qu'elle avait ressentit, qu'il comprenne! Comment imaginer ce qu'elle lui ferait, seul dieu le pouvait, si jamais il existait.

De mauvaise humeur, elle s'endormit quand même, écrasant la pauvre plante, qui s'était retrouvée dans ses pattes. Ses rêves ne furent pas très agréables cette nuit là, la plupart étaient des réminiscences de moments passés dans le clan, à se faire lapider par des confrères plus grands et plus forts qu'elle. Puis, par un hasard fortuit, le rêve bascula et Seïryu se retrouva projetée dans une arène remplie de sauriens en tout genre. Toute la masse grouillante à écailles qui se trouvaient dans cette arène se jeta sur elle, et la lumière disparut, comme aspirée par un trou béant. Cette cavitée de l'espace-temps emplit toute l'arène avant de se rétracter sous forme d'une implosion solaire. Aveuglée par la brusque lumière qui a succedé à l'obscuritée complète, Seïryu, prise de panique, se mit à courir et s'envola brusquement ... puis, tout à coup, un forêt apparue, luxuriante et exaltante de santé, les hauts arbres centenaires s'élévant jusqu'au ciel de jade, la rivière, jaillissant telle un char lancé au galop et retombant dans un chute d'eau phénoménale. Tout était immense, démesuré, tellement impressionnant, mais aussi calme, reposant et la dragonne bleue s'approcha doucement de ce havre de paix, sans craintes ni apréhensions. Le sol meuble s'applatit sous ses pattes et un doux soleil de bronze la réchauffa doucement, tout son corps se détendit et bientôt, elle sombra dans un rêve, ou plutôt se réveilla doucement dans les plaines paisibles où elle s'était endormie.

La nuit qu'elle avait passée, à la fois fatiguante et relaxante, lui suffit à être de bonne humeur. Ses écailles, brillaient sus le soleil doré qui se levait sur l'horizon. Déjà, les animaux de la prairie sortaient de leurs abris encore endormis. La musique de l'aube, énergisante pour qui sait écouter la nature, forte, attirante, mystérieuse, fascinante et douce, se faisait déjà entendre dans les premiers rayons de soleils qui carressait doucement les membranes encore engourdies de ses ailes. Cette journée commençait bien, espéront qu'elle dure, et, laissant son abri pour continuer son chemin, Seïryu, qui ne se sentait pas de voler aujourd'hui, préférant sentir sous ses pieds le sol, rendu dur par manque d'eau et se mit en route vers la mer, encore invisible de là où elle se trouvait, si loin qu'elle ne pourrait l'atteindre qu'en deux jours au moins si ce n'est plus. Pendant qu'elle marchait, assez rapidement, elle attrapa des petits mamifères à fourure dont elle recracha les poils bruns tachés de sang. Elle préférait largement les poissons, en particulier les requins qui avaient un corps moins membraneux qui les animaux terrestres. Elle poursuivi sa route jusqu'à ce que le soleil atteigne le zénith puis s'allongea sur le sol à l'ombre d'un bosquet d'arbres de couleurs vives et couverts de fleurs blanches. Elle s'assoupit ainsi, les pétales de fleurs virevoltant doucement autour d'elle, et elle laissa son esprit vagabonder sans se fixer sur une pensée précise. De toute façon, elle avait le temps, on a toujours le temps quand on est un dragon.

Elle s'était endormie, la fatigue avait été trop forte pour qu'elle puisse lutter contre le sommeil, en plus, c'était la fin de la journée et elle n'aimait pas voyager seule de nuit. Elle se décida donc à récupérer le maximum d'énergie pour le lendemain. Ses yeux de saphir s'ouvrirent lentement pour regarder le soleil se coucher, les plaines, sans relief, lui permettait de le voir sans avoir besion de bouger le moindre muscle. Seïryu adorait le soleil se couchant, remplissant de lumière la moindre parcelle visible et embrasant le ciel sans nuages. Les dégradés mordorés et orangés se marriaient tellement bien avec la Nature, les fleurs blanches de cerisiers se teintant de rouge pale semblables à des bouts de soie teintée et vibrantes de vie dans le soir qui tombe. Elle allait continuer à admirer sereinement le paysage qui s'offrait à elle quand elle perçut une présence non loin d'elle. Sur ses gardes, on ne sait jamais qui peut rôder la nuit dans les plaines et bien qu'elle soit un dragon, son instinc lui dit qu'elle n'avait pas à faire à un bipède mais plutôt à un de sa race. Son corps, tendu à l'extrême, près à bondir sur cet arrivant, son regard rivé sur l'horizon, elle tourna lentement, très lentement la tête afin de ne pas effrayer ou même donner des indications sur ses actes. Petit à petit, elle découvrit un petit dragon brun, du moins plus petit qu'elle. Puis, ses yeux détaillèrent son expression afin de déceler les intentions de ce dragonneau, il avait des yeux bruns et un regard tendre qui n'anonçait pas, comme elle l'avait imaginé une menace mais plutôt un très jeune dragon jamais sorti des limites de son clan et qui était complètement paumé. *Vraiment, j'y crois pas, me faire une peur pareille et m'enlever le plaisir de regarder le coucher de soleil. Il a intérêt à avoir une bonne raison, sinon je donne pas cher de sa peau!* Pense-t-elle furieuse et prête à lui poser la question, elle le regarde mieux et soudain, un porte qui avait été murée et cadenassée dans son coeur s'ouvre, béante. La compassion qu'elle ressentit pour le petit dragon lui interdit de même imaginer le tuer ou même le blesser, il avait si fragile et si perdu dans la grande immensité qu'est ce monde. Que lui arrivait-il? Comment pouvait-elle vouloir protéger un inconnu qui l'avait mise de mauvaise humeur? Il pourrait être son fils si elle avait eu ne serai-ce qu'un amant ... oui, c'était ça! Un enfant, le nombre de fois qu'elle en avait rêver ... non, elle ne devait pas se laisser attendrir par n'importe quel jeune de son espèce. Il devait comprendre qu'on ne s'approchait pas d'elle sans représailles. Elle se décida donc de le traiter comme un enfant et de le gronder. Mentalement et du plus fort qu'elle pouvait, elle lui dit:

*Ecoute-moi bien mon petit, je comprends que tu sois perdu, que tu veuilles demander ton chemin ou même que je t'intrigue, bien que je vois pas pourquoi mais il faut que tu apprennes une chose, les gens qui sont seuls n'ont pas forcément envie de voir quelqu'un et si tu as besoin d'un quelconque renseignement, ne reste pas planté derrière celui-ci! c'est le meilleur moyen de lui faire peur et, suivant son état d'esprit, de se faire attaquer! Si tu veux savoir quelque chose, présentes-toi et préviens de ta présence que la personne devant toi sache quelles sont tes intentions! J'aurais pu te tuer si j'avais été plus impulsive, tu devrais aussi faire plus attention aux êtres qui sont en face de toi, tout le monde n'est pas gentil comme tu as l'air de l'être*

Reprenant ses moyens tout en se levant et en se rapprochant du jeune dragon, surpris par son incursion dans son esprit, elle essaya de se calmer et repris d'un ton plus calme, moins dur et tranchant que sa tirade précédente. Elle ne voulait pas l'effrayer plus qu'il ne l'était déjà, et lui dit donc d'une pensée maternelle:

*Je ne pense pas que tu serais pas resté planté là si tu n'avais pas quelque chose à me demander ... que veux-tu savoir? Je suis peut-être un peu spéciale mais je ne mors pas, alors n'ait pas peur et dis-moi où tu veux aller; tu as l'air complètement perdu.*

Après sa tirade, n'ayant plus d'intérêt à suivre la conversation, elle pensa partir dès que le petit serait renseigné. On n'a pas toujours la chance de croiser un si petit dragon dans les plaines et qu'il soit assez inconscient pour parler à un inconnu. Comment pouvait-il être si insouciant? Personne ne lui a dit que les braconniers et les chasseurs de prime existaient et qu'ils appartenaient à n'importe quelle espèce? Écoutant d'une oreille distraite la demande du jeune dragon, qui est, comme elle, à la recherche d'un membre de sa famille, elle réfléchit à la description de son frère. Quelque chose n'allait pas. Ça ne pouvait pas être la description d'un dragon, il y avait trop de parties propres aux bipèdes. A moins que ... non ce n'était pas possible, les hybrides existent entre bipèdes, comme les satyres ou les sirènes. Les dragons évitent généralement tout rapport sentimentaux avec les bipèdes. Malheureusement, la description que lui donnait le dragon ébranlait tous ses principes, il était impossible de douter un seul instant de la nature du frère ... il serait donc un demi-dragon. Elle n'en avait jamais vu, cela pourrait lui servir dans ses recherches, si elle restait avec ce dragonneau, elle pourrait surement approcher ce spécimen rare et même unique! Son côté scientifique avait pris le dessus et aucun remord ne l'atteignit quand elle lui proposa :

"Je n'ai pas vu ton frère, cela ne fait pas longtemps que je suis rentrée dans ce monde mais je peux t'aider à le chercher. Je connais bien ce monde, j'ai passé beaucoup de temps à l'explorer. En plus, tu n'as pas l'air au courant de ce qu'il se passe dans le monde. Si tu en as envie, je peux être ton guide dans ce monde."

Tout en parlant, elle se tourna tout à fait en face de lui et s'allongea afin de ne pas trop le surplomber. Ses rayures, d'un blanc lumineux, montrait ses bonnes intentions et une attention particulière pour le jeune dragon.

La joie et l'impatience du jeune dragonneau ébranla profondément la vieille dragonne. Des relations innocentes entre deux dragons, sans préjugés, tout cela était nouveau pour elle et elle sentit l'affection pour ce tout jeune dragon grandir encore ... mais bon, franchement, qu'est ce qui lui est passé par la tête de sortir de son clan sans avoir aucune idée de l'aspect du monde du dehors ... elle eu alors un mauvais pressentiment, il allait falloir tout lui apprendre en chemin, les plantes qu'il ne faut pas manger, les gens à qui il ne faut pas parler de peur de leurs flanquer une crise cardiaque ... le voyage allait vraiment être très ... très fatiguant.

*Tu t'es mise dans le pétrin toute seule ma vieille ... prends en qu'à toi même, à ton sentimentalisme et à ta curiosité débordante ... bon puisque je lui ai promis de le guider, il va falloir d'abord trouver une destination ... il m'a dit que son frère rendait visite aux elfes ... il va donc falloir aller dans les bois ... ça va être coton là aussi ... connait-il le langage des elfes ou vais-je devoir la lui appendre aussi ? ... Je lui demanderai plus tard. Une chose à la fois, sinon je vais m'énerver et il va prendre peur. Bon calme toi, tu peux lui parler calmement ... présente-toi, dis-lui où tu compte l'emmener et invite le à le suivre ... ça fait pas plus de six phrases ... c'est bon allez ma vieille ... lance-toi!*

Prenant une grande inspiration et oubliant complètement de rester au niveau du petit dragon, le surplombant de toute sa hauteur, elle lui dis donc d'un ton qui se voulait affectueux :

"C'est parfait, nous allons donc voyager ensemble pendant un petit moment donc je me présente, Seïryu, dragonne batarde d'une mère de ce monde et d'un père du monde des dragons. Je te propose que nous allions vers les forêts, où la majorité des elfes résident. Là-bas on pourra toujours demander s'ils ne l'ont pas vu ... il ne doit pas vraiment passer inaperçu. Ensuite, je ne pense pas que tu sache à qui parler et quoi manger car les choses sont différentes en dehors des clans de dragons, mais ça nous le verrons plus tard et tu peux très bien me poser des questions sur ce qu'il t'entoure. Voilà je crois que pour l'instant, il est tant d'entamer notre périple à la recherche de ton frère"

A ces mots, elle s'envole sans bruit et reste à battre des ailes le temps que le petit la rejoigne. Ce voyage allait lui apporter plein de surprises bien qu'elle ne s'en doute pas pour l'instant.