La cérémonie

Dragon d'Ombres... C'est ce qu'il était... Le plus sombre et le plus sournois de tous les Dragons... Même les Noirs ne parvenaient pas à rivaliser avec sa cruauté... Et il était là, à regarder une Elfe Noire insignifiante se battre pour garder la suprématie, à écouter le cœur d'un autre jeune, avec l'espoir secret qu'il continue de battre pour s'ouvrir à lui...

Lorsque l'amie de Craz s'était éloignée, il s'était relevé. Campé sur ses quatre pattes, les ailes gracieusement repliées dans son dos. Dragon majestueux... qui se contentait d'être spectateur...
L'elfe avait réagi à son avertissement. Elle avait couru vers les cages, dans l'espoir d'empêcher la fuite des deux dragons dont on lui avait confié la responsabilité... Un autre Elfe l'avait stoppée dans son élan. Il semblait qu'une haine aléatoire brillait dans ses yeux... de la jalousie. Il voulait obtenir ce que sa rivale possédait... Alors il l'attaqua. Elle se défendit, sa vie était en danger... Malgré la position de faiblesse dans laquelle elle se retrouva, Karal réussit à le vaincre.
Mais son attention concentrée sur l'Elfe Noire n'avait pas empêché le Sournois de discerner d'autres évènements, se déroulant en parallèle et non loin de la scène qui l'avait intéressé. La Blanche avait réussit à briser ses entraves, et en était sortie... Mais une bataille intérieure ravageait le Rouge, qui s'était retrouvé incapable de saisir le vent de la liberté... Lui voyait et comprenait ce qui était en train de se passer en lui... Il était un Dragon sauvage. Bête fière domptée par ce clan, et placé de force sous la tutelle de la petite orgueilleuse... Il voulait recouvrer sa vie perdue, mais les liens qui le retenaient étaient fort : car la proximité de sa maîtresse rendait le fil plus fort, plus court... Bientôt, ils seraient indissociables... Et pendant que le Dragon de feu était en proie à ce combat, celle de neige avait déjà eu le temps d'aller loin...
Mais l'Ombre se moquait bien de ses semblables captifs. Pour une raison qu'il avait peur de comprendre, c'était la bataille de l'Elfe Noire qui l'avait fasciné... Les yeux brumeux roulèrent dans leurs orbites, reconnaissant le courage de cette petite bipède... Elle n'avait besoin de personne, Craz n'avait pas choisit au hasard... Mais le savait-il ?

Le spectacle était fini. Le Dragon rit dans l'esprit de l'Elfe Noire. Elle l'avait bien distrait, et cela était déjà trop... Il ne fallait pas qu'il renonce, où il se ferait piéger par ses propres sentiments. Alors cette hilarité forcée ferait office d'adieu. Il était rauque et sarcastique, mais il n'était pas sûr lui-même d'y avoir mis de la volonté. Voulant éviter de se compromettre à penser encore plus à Craz, le Sournois étendit les ailes...

*Tu t’en vas? Quoi, tu as peur? Peur… de Craz? *

Peur ? De Craz ? De l'entendre dire, le Noir Faillit oublier de battre des ailes. Il eut le réflexe salutaire de se mettre en vol stationnaire, mais il ne fuyait plus... Oui, car il fuyait... Elle avait vu juste : il avait peur... Peur de Craz ? Oui, cela ne faisait aucun doute... Il avait peur... peur de l'amitié qu'il lui avait offerte. Car c'était bien d'amitié qu'il lui avait parlé. Aucune offense, aucune contrainte... Il avait voulu se lier à lui, en douceur... Il ne voulait pas le reconnaître. Il était libre, et un tel lien était inconcevable pour sa conscience. Il voulait rester lui-même, il voulait pouvoir toujours avoir le choix, de ses décisions, de ses mouvements... Il avait peur que cette magie incompréhensible le prive de tout ce qui avait fait son existence... Mais justement... Craz ne voulait pas le restreindre, il le savait très bien... trop bien... Et penser à sa crainte... il s'en rendait compte... il commençait à l'accepter...
Le grand Dragon se reposa sur la colline. Comme un peu plus tôt, il s'allongea sur l'herbe, ses pattes sous son corps. Il baissa la tête, la lovant entre ses pattes comme s'il allait dormir. Sa pensée se dirigea une dernière fois vers l'Elfe Noire.

*Je ne suis pas un lâche, amie de Craz. Je vais attendre qu'il se réveille.*

Il n'était pas un lâche... uniquement grâce à elle. Elle l'avait fait réfléchir, même si sa réflexion aurait pu n'avoir aucun impact sur lui... Mais il en avait décidé autrement... parce qu'il avait le désir qu'il en soit autrement... Oui, il avait envie de connaître ce jeune étourdi, avant de décider s'il méritait ou non qu'il le laisse vivre... Une autre attaque mentale l'achèverait, et il n'aurait plus aucun problème de conscience... Mais il ne le ferait pas. Craz avait réussi à l'atteindre, plus qu'aucun d'eux deux ne le soupçonnait. Le Sombre était le plus surpris par son revirement, mais sa décision était prise : il resterait, et prendrait le temps de savoir si l'insouciant valait la peine qu'il s'intéresse à lui...
Au fil de ses remarques, l'âme du Dragon s'était un peu plus ouvert à celui qui lui était complémentaire... Le Sournois sentait toujours l'esprit de Craz dans un petit coin du sien, et il y était attentif, et il semblait que rien n'avait changé... Il vivait ses rêves... Ceux-ci s'estompaient peu à peu... Le Dragon savait ce que cela signifiait...

*Il revient... mais ce n'est pas à moi qu'il pense...*

Le Dragon somnolent guidait de loin les actions de l'Elfe Noire, à elle de comprendre ce qu'il lui dictait, et de savoir si elle avait envie de suivre ses indications... Mais pour lui, pour elle... et avant tout pour Craz, il espérait qu'il n'aurait pas à lui préciser son opinion...

HRP/ Si vous m'en laissez le temps, je ferais aussi un post pour Craz. Mais au pire, ça pourra se faire même après l'intervention de Karaz, alors ne m'attendez pas ! Wink

HRP : non, ça va…

Karal réfléchit un moment, coupé du monde extérieur, tandis que les autres se demandaient bien ce qu’elle fabriquait. Ils s’agitaient, mais Karal était trop concentrée pour comprendre leurs actions.

**Écoute, fais ce que tu veux, mais les autres ne vont pas tarder à te sauter dessus, avec leurs mages, et tout. Pour eux, rien prendre un dragon ne se fait que par la force… **

Karal avait donné toute son attention au dragon noir. Mais des bras qui l’empoignaient la tira subitement de sa «bulle». En effet, comme elle l’avait prévu quelques personnes se dirigeaient vers la colline, avec la ferme intention de maîtriser le dragon d’Ombre. Orkro avait été remis dans sa cage, immobile, mais quand-même réveillé. Lamërya, elle avait réussit à s’enfuir. Karal ne pouvait que la regarder s’en aller, impuissante, tellement loin qu’un aurait dit un oiseau à cette distance. Seizer était en train de se relever péniblement, et la regardait avec un air qui vacillait entre une cruelle satisfaction, et de la haine méprisante. Elle serra les dents en le regardant, furieuse, alors qu’on l’emmenait plus loin pendant qu’il restait là. Elle eut quand-même la chance d’attraper son sabre qui s’était planté dans le sol au passage. Elle savait où on l’emmenait, dans la demeure des chefs, où toutes les grandes décisions étaient prises. Où on jugeait ceux qui devaient l’être, aussi… Mais elle se contenta de mecher la tête haute, sans protester. À quoi cela aurait-il servit?

En marchant, ils passèrent devant la maison des guérisseurs. Karal tenta d’y voir à l’intérieur, mais elle ne put. Cela la déçut. Elle se demandais fortement s’il allait mieux.

L'avertissement tira le Dragon de sa léthargie contemplative. Elle avait raison : une escouade d'elfes noirs venait à lui...

*Je lui transmettrai ton soutien...*

Il étendit une nouvelle fois les ailes, et décolla sans peine, se mettant hors de portée de ses ennemis du moment. Il aurait pu en venir à bout sans difficulté, mais doutait que cela puisse arranger la situation... et il voulait rester près de Craz, même s'il ne comprenait toujours pas réellement pourquoi... "Au moins jusqu'à ce qu'il se réveille..." Seulement, il le savait, les Elfes noirs arriveraient plus nombreux, et montés sur ces Dragons emprisonnés, s'il le fallait... S'il avait eu des épaules, il les aurait haussé de façon vraiment négligente. Cela n'avait vraiment aucune importance... A la réflexion, il aurait pu tout aussi bien rester au sol. Mais comme ça, il donnait à ces vermisseaux l'impression qu'ils pourraient avoir l'avantage... Il aurait pu en rire, si une décharge importance ne venait pas de lui vriller la cerveau.
Surpris tout d'abord, il suspendit son vol. Mais elle continuait... Un flux d'émotion lui parvenait, comme autant d'énergie négative qui le détruisait... Spectacle surprenant que de voir un majestueux dragon prendre sa tête entre ses pattes... Il ne le supportait pas... Cela venait de Craz. Comment pouvait-il lui transmettre autant... ? Il l'avait sentit dissiper le brouillard... mais il était encore là... L'Elfe Noir n'avait pas encore surgit des limbes... Le Sombre n'en revenait pas... A mi-chemin entre deux mondes, le jeune insouciant communiquait de manière instinctive avec lui... Mais il ne lui transmettait que des visions d'angoisse, de souffrance, de désespoir... jusqu'à l'agonie. C'était fort. Trop fort. Heureusement que le dragon n'était pas en haute altitude, car il tomba. Les elfes noirs n'eurent pas le temps de l'éviter, il sentit les petits os fragiles craquer sous lui alors qu'il s'écrasait au sol... Ceux-là éliminés, cela lui laisserait le temps de voir venir la prochaine salve... Mais en voilà bien une chose qu'il n'avait anticipé... Il avait vu la fin du rêve, mais n'avait pas pu prévoir sa conclusion...

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C'était une nuit magnifique. Les étoiles brillaient à travers la cime des arbres et Craz ne se laissait pas de les observer... Activité bien peu commune pour un Elfe Noir, mais il fallait croire que celui-là avait un côté rêveur... Il était délicieusement oisif, alors que les tâches de la soirée avaient été attribuées. La sienne également, mais il s'en moquait. Qui serait intéressé par le tri du bois ? Non... Lui préférait rester là, seul, ou bien aller ennuyer ses compagnons si assidus à leur travail... Quelle idée excellente ! L'elfe noir se leva, et prit son temps pour rejoindre le camp. Il se fit saluer de loin par quelques uns, et féliciter, même par certains, qui le croyaient revenu dans de bonnes dispositions. Il ricana à leur adresse, ce furent eux les premiers qu'il alla voir. Il se trouvait qu'il devait faire partie de cette équipe... Il s'appuya nonchalamment sur le tas de bois destiné à la coupe. L'elfe qui l'avait apostrophé était celui qui tenait la hache, et rien qu'en faisant cela, il le gênait.

- C'est pénible, le bois...
- A qui le dis-tu...
- Sans doute le plus pénible...
- Peut-être moins que le tannage des peaux.
- Ils n'ont pas de chance, ceux-là...
- Chacun son tour...
- Dommage, c'est une belle nuit pour chasser.
- C'est sûr.
- Ceux-là ont de la chance.
- ...

Le discours de Craz n'avait d'autre but que de mener à bout son interlocuteur, et il venait de réussir à l'instant. Son compagnon le regardait d'un œil mauvais. En effet, il parlait alors qu'il était sensé l'aider... Et il n'en était rien... Surtout qu'il parlait pour ne rien dire...

- Et si tu t'y mettais, un peu ? On aurait plus vite fini...
- Non.

L'elfe noir avait répondu avec un grand sourire. Il était franc, il ne se bougeait pas d'un pouce... Et cela, son semblable n'avait pas besoin d'un dessin pour le comprendre. Toujours joyeux, l'insouciant s'éloigna en sautillant, à la recherche d'une nouvelle victime... Son sourire se transforma lorsque ses yeux tombèrent sur une Elfe Noire. Il était devenu moins espiègle mais ses yeux pétillaient d'autant plus... Il n'allait pas l'aborder de la même façon...

- Karal...

Le jeune têtu s'inclina en une révérence pour le moins théâtrale. La jeune elfe avait relevé la tête en entendant son nom, et cette vue lui arracha un sourire. Craz se releva, et pencha la tête à son intention, avec un petit sourire, avant de regarder le bac dans lequel elle trempait les mains avec un certain dégoût.

- C'est une trop belle nuit pour la passer à racler des peaux...

En effet, l'Elfe Noire sur laquelle il avait jeté son dévolu était assignée au tannage, activité définie à peine plus tôt comme l'une des plus pénibles... Il lui tendit la main.

- Laisse tomber ça, et viens chasser avec moi...

La proposition était tentante, mais que diraient les autres ? Elle ne pouvait pas simplement lâcher la peau et le rejoindre, sans aucun préavis... Mais une idée lui avait traversé l'esprit, le genre pour lesquelles le redoutable Craz excellait, il n'aurait aucune difficulté à comprendre la manœuvre...
L'Elfe Noire fit "non" de la tête à l'adresse de son compagnon, il ramena sa main à lui, l'air déçu. Mais cela ne durerait pas, c'était juste un leurre pour les autres elfes qui les regardaient. Il s'éloigna lentement, mais elle savait très bien qu'il ne resterait pas loin... Alors elle attendit une durée assez raisonnable pour que l'on ne puisse pas faire le lien entre ce qui allait se passer et la venue de Craz.
Soudain, l'Elfe Noire défaillit. Ses collègues réagirent vite, évitant que sa tête ne cogne le sol ou ne tombe dans le seau... Ils lui donnèrent des petites claques sur les joues pour la réveiller, mais en vain... Alors on la transporta dans la tente des guérisseurs. On diagnostiqua un surmenage, pour lequel le seul remède était le repos. Les Elfes noirs laissèrent donc leur petite Karal là.

Un peu plus tard, un visage sur lequel se détachaient des yeux azur se présenta à l'entrée de la tente.

- Karal est là ? J'ai entendu dire qu'elle avait eu un malaise...
- Oui, elle se repose...

Le jeune elfe se rapprocha d'elle avec un sourire complice, il savait très bien qu'elle ne dormait pas. Et elle avait déjà reconnu sa voix. Lorsqu'il toucha sa main, ce fut le signal, elle ouvrit les yeux. De façon très galante, Craz aida Karal à descendre de la paillasse.

- Apparemment, la sieste est finie.
- Oui. Si vous le permettez, je vais la raccompagner. Comme ça, en cas de problème, vous serez vite averti !
- Très bien. Allez-y.

Les deux compères sortirent de la tente des guérisseurs, mais sans la moindre intention de retourner au tri des peaux... Ils se retenaient de rire et se regardaient en se donnant des coups de coude.

- Où va-t-on maintenant ?
- Dans la forêt, bien sûr ! Après, ça dépend de la proie que tu veux capturer...

A l'expression de Craz, il avait une idée derrière la tête. Dangereuse, sans aucun doute, comme à son habitude, mais c'était tellement excitant !

- Je te suis...

L'Elfe Noir guida donc sa compagne entre les branches, allant plus loin qu'elle ne l'escomptait. Elle commençait à s'inquiéter de l'endroit où il l'avait menée, quand il dévoila derrière un buisson, un petit feu de camp. Il se mit à parler pour s'expliquer, à voix basse.

- Je l'ai repéré il n'y a pas longtemps. Je crois que ce sont des elfes qui voyagent. Leurs traces ne sont pas difficiles à suivre, et ils ne sont que deux.

Craz était plutôt facile à cerner, pourtant il l'étonnait : depuis combien de temps faisait-il de telles excursions ? Car il fallait passer du temps pour pister ainsi... Et son intention était évidente : il proposait à Karal de suivre le chemin, et de s'offrir un petit combat facile... Elle hocha la tête avec un sourire. Elle anticipait déjà ce qu'elle allait faire...

L'elfe noir était aux anges. Il avait invité Karal sans aucune certitude, et elle avait accepté sans hésiter. Elle était là, avec elle, prête à le suivre dans ses divagations nocturnes... On aurait cru à un rêve...
Pour ne pas la faire patienter plus longtemps, il s'élança vers le camp désert, et observa le sol. Les traces de pas étaient fraîches, le feu fumait encore, les elfes étaient partis peu de temps avant. Le jeune insouciant releva la tête vers la cachette, enjoué. Il voulait inciter l'Elfe Noire à le rejoindre sans tarder. Mais elle ne venait pas... Avec une pointe d'inquiétude, Craz se précipita dans le buisson... Pour y découvrir le corps de sa compagne, mutilé. Affolé, il rampa vers elle, et la prit dans ses bras.

- Karal...

Les yeux bordeaux de l'Elfe Noire réussirent à s'ouvrir, juste assez pour que Craz puisse distinguer leur magnifique couleur... mais elle se ternissait peu à peu...

- Craz... Les Elfes...

La tête de Karal tomba sur la main de l'elfe noir. Il la serra contre lui, elle devait vivre... Il lécha le sang qui coulait de sa plaie au cou, et tout espoir s'envola. Le fluide avait le goût de la mort...

- Karal !

Un Elfe Noir ne pleure pas. Il faut croire que si... De chaudes larmes tombèrent sur la peau noire de Karal, qui commençait déjà à se refroidir. Craz le savait, ses ennemis attendaient dans l'ombre le bon moment pour porter atteinte à sa vie... Il ne se laisserait pas faire... Regardant une dernière fois le visage autrefois radieux de sa compagne, il se releva, décidé à la venger.
Les Elfes se jetèrent sur lui, mais il les esquiva habilement. Ils n'allaient pas abandonner... Ils semblaient au départ plus disposer à le capturer vivant qu'à le tuer. Mais l'Elfe noir était trop vif pour qu'ils réussissent. Alors ils sortirent leurs armes, et le blessèrent. Craz ressentait la douleur dans ses poignets et ses jambes, ils le tailladaient sans relâche. Et que lui arrivait-il ? Il ne pouvait répliquer... Alors il esquivait du mieux qu'il pouvait, se démenant autant que possible. Les épées le touchèrent bientôt à la hanche, ses mouvements devenaient plus difficiles. Mais il se rendit compte que depuis un moment déjà, il ne pouvait plus bouger... Un sort ? C'était absurde... Il était à la merci de deux vauriens d'elfes... Il ne voyait pas leurs visages, mais savait qu'il allait mourir là... Alors il ferma les yeux, et ne résista plus. Il avait perdu toute raison de vivre, autant en finir vite... Les larmes coulèrent à nouveau, il était résigné...

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- Karal...

Les yeux grands ouverts regardaient fixement l'ouverture de la tente, comme si quelqu'un allait entrer. Appuyé contre le lit du convalescent, le guérisseur ne manqua pas ce changement soudain. Malgré la douleur et le bandage, Craz se tourna de ce côté, et il tendit son bras libre dans cette direction, si loin que son mouvement aurait entraîné son corps à sa suite si le guérisseur ne veillait pas au grain. Son dos comme barrière l'empêcha donc de rouler encore sur sa paillasse sans qu'il ait réellement besoin de bouger. Il se tourna pourtant, pour maintenir Craz par les épaules et le replacer convenablement. Il allait peut-être devoir faire appel à ses collègues pour éviter qu'il ne se blesse à nouveau. Car il bougeait trop... Ses doigts tentaient toujours désespérément d'attraper quelque chose qu'il ne pouvait atteindre. Sa bouche s'ouvrait et se fermait par intermittence, comme un poisson qui se noie, mais ses poumons percés l'empêchaient de parler. Malgré toute cette activité de sa part, l'elfe noir avait la vague impression que son patient n'était pas encore réveillé...

- Karal !

Ce cri était incroyable. Déjà, parce que Craz n'aurait pas dû être en mesure de le pousser... Parce que la douleur qu'elle provoquait dans son corps n'était rien comparée à celle qu'il avait dégagée au moment où il était sorti de la bouche du jeune elfe. Et en réponse à cet appel désespéré, se mélangeant à la sueur de a fièvre, des larmes avaient commencé à couler sur ses joues...

- Un elfe noir qui pleure... C'est une première...

Les autres guérisseurs avaient interrompu leur travail à l'entente de ce cri, et braquaient tous leurs regards sur l'inconscient. Son responsable en fut soulagé, car ainsi, il n'eut pas besoin de leur dire pour qu'ils se rendent compte par eux-mêmes de la situation. L'elfe noir était agité, mais c'était pire que cela. Il avait sursauté à son propre cri, et le guérisseur avait cru qu'il se réveillait, mais ce sursaut n'avait été que le premier d'une longue série, et il peinait à résister aux convulsions. Il le tenait aux poignets, ce n'était pas suffisant. Voyant l'agitation du malade, les autres vinrent bientôt à sa rescousse. Craz était de loin le plus sérieux des patients du moment, et tous les autres, conscients, comprenaient qu'il y avait urgence... Il était à cinq à le tenir, et réussissaient tant bien que mal à empêcher les mouvements brusques qui le feraient rechuter... Mais ils ne pourraient pas rester indéfiniment dans cette position, et cela n'en finissait pas...
Au bout d'un moment, ils se rendirent bien compte que le corps de l'elfe ne se calmerait pas de sitôt, et les crampes commençaient à se faire ressentir. Ils n'avaient pas le choix : ils devaient l'immobiliser sans avoir recours à leur propre force. Confiant le bras qu'il tenait à son alter ego, un des guérisseurs s'éloigna, et ramena sans tarder des chaînettes. Il constata d'un point de vue extérieur la furie silencieuse de l'inconscient, et donna les directives nécessaires pour que l'on l'attache solidement, chacun son propre membre. Craz fut également lié au niveau du bas ventre, les chaînes, qui faisaient toujours plusieurs tours, passant sur les os des hanches et du bassin, prévenant un risque de blessure trop grand s'il venait à se débattre.

Le guérisseur qui l'avait suivit depuis le début occupait à présent cette tâche à temps plein, les autres étaient retournés à leur activité respective. Il voyait bien que le corps de Craz continuait ses mouvements malgré les entraves... Il eut bientôt les poignets bleus, puis la peau à vif au niveau des hanches, mais il ne pouvait pas relâcher ses liens. Le médecin le déplorait, mais les blessures minimes étaient le prix à payer pour qu'il reste en vie... Il ne pouvait rien faire, juste espérer qu'il revienne rapidement à lui...
Ce ne fut pas le cas. Mais le guérisseur en fut pourtant soulagé. Car Craz avait enfin arrêté de bouger, les chaînes ne le blessaient plus. Il pourrait certainement le libérer... Mais il remarqua que l'eau salée coulait à nouveau... Puis il comprit. Le jeune Elfe Noir était redevenu inerte parce qu'il avait abandonné. Son cœur faiblissait, sa respiration ralentissait... inexorablement... Et il ne pouvait rien faire pour le sauver... Craz ne se battait plus. Il ne tarderait pas à mourir...

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Le Dragon le savait... Au plus profond de lui-même, le Dragon le sentait... Craz se laissait aller, ses forces le quittaient... Il avait suivi son cheminement, son deuil, son combat... Il comprenait. Il souffrait avec lui... Mais il avait aussi un discernement que l'Elfe Noir ne possédait plus, perdu dans les limbes de ses pensées... Il était le seul à pouvoir agir...

*Craz ! Ne renonce pas ! Bats-toi !*

Contre toute attente, il sut que Craz l'avait entendu. Comme une conscience, mais cela était suffisant. L fut encore plus étonné lorsqu'une voix, faiblarde et sans vigueur, lui répondit.

*A quoi bon ? Je n'ai plus rien...*

Le Sournois avait compris que Craz ne voulait plus vivre à cause de Karal. Dans la réalité qu'il avait faite sienne, elle était morte, par sa faute... Il était persuadé de cela, et son esprit l'avait accepté... Alors il se laissait mourir...

*Elle n'est pas morte, Craz. Elle est vivante, et elle s'inquiète pour toi !*
*Ce n'est... pas... possible...*

Le Sombre savait combien ce serait difficile de lui faire réaliser que sa propre imagination pouvait l'avoir trompé... mais il le fallait bien... Son mental faiblissait à vue d'œil, et il ne serait bientôt plus capable de lui répondre... Bientôt sa conscience serait floue, et la voie qu'il avait prise serait inéductable...

*Elle est vivante ! Craz, ouvre les yeux !*

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Le guérisseur soupira devant son impuissance. Ce jeune était insouciant à l'extrême, mais vif et fougueux. Malgré ses caprices, il était impossible de ne pas l'aimer, même si personne ne le lui avouerait jamais. Il était un rayon de soleil dans ce camp parfois bien morne, et même si on le lui reprochait souvent, c'était peut-être ça, son véritable rôle... Il manquerait, c'était certain...
Le médecin écarquilla les yeux. Il avait sans doute parlé trop vite. Les yeux emplit de larmes étaient ouverts. Ils semblaient avoir obéi à une injonction extérieure. Mais bientôt, ils papillotèrent pour en chasser l'eau, et le visage noir qui avait viré au gris sembla soudain reprendre des couleurs. L'Elfe Noir suivit alors le regard de son patient, et vit la même chose que lui : une jeune Elfe étaient emmenée de force, celle-là même qu'il avait soignée un peu plutôt. Elle regardait vers la tente, avec une once de regret... Le guérisseur retourna à son malade. Il était à nouveau endormi, mais apaisé, avec un sourire aux lèvres.
Rassuré, et laissant échapper un petit rire, l'Elfe noir se leva. Cette fois, il pouvait laisser Craz seul, il ne courait plus aucun risque...

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L'Elfe noir avait écouté sa directive, et l'avait appliqué à la lettre. Même si le Noir l'avait exprimée de façon imagée, ce geste avait été salutaire. Par les yeux de Craz et par les siens en même temps il avait vu Karal regarder dans la tente, avec le chagrin de ne rien y voir. Intérieurement, le Dragon sourit.

*Grâce à toi, il va bien.*

L'Elfe Noire ne pouvait qu'ignorer ce que cela signifiait exactement, mais s'en allait au moins avec le cœur tranquille. Le Dragon se posait maintenant comme le protecteur de l'âme de Craz. Il empêcherait à l'avenir tout rêve de venir perturber son sommeil, tant qu'il ne serait pas complètement rétabli. Mais en attendant ce moment, il avait également ses propres problèmes...
Le Sombre avait tué de manière bien involontaire une petite dizaine d'Elfes Noir, ce qui en avait fait rappliquer le triple... A part la veille qu'il maintenait sur la conscience de Craz, il avait l'esprit libre... Il ne fut donc pas difficile pour lui de leur échapper, sans aucun effort : il devint simplement immatériel. Même les plus doués ne peuvent attraper une ombre, et cela est valable pour les Elfes comme pour les Dragons. Allongé sur le flanc de façon provocatrice, l'Ombre qu'était devenue le Dragon regarder les bipèdes s'ébattre avec un certain amusement. Il avait volontairement gardé sa forme de Dragon, juste pour les narguer. Il pouvait rester ainsi indéfiniment, il lui suffisait de le vouloir. Ainsi, tant qu'il y pensait, personne ne pouvait rien contre lui... Cette situation était plutôt plaisante, mais finirait vite par devenir ennuyeuse... Il se surprit donc à avoir une petite pensée mélancolique, qu'il dirigea instinctivement vers celui qui profitait de sa protection.

*Dépêche-toi de te réveiller, petit elfe... J'ai vraiment hâte de te connaître, Craz...*

Un écho lui renvoya une réponse qu'il ne comprit pas, mais qu'il ressentit comme un remerciement... Craz ne réalisait peut-être pas encore... Peut-être ne savait-il même pas qu'il avait un dragon dans la tête... mais ce dernier était prêt à attendre. Tous les Dragons avaient la patience comme vertu...

On emmena Karal dans une assez grande pièce sombre, presque complètement vide. Au fond se dressait une table longue sur laquelle quelques Drows prenaient place. En fait, il n’y avait pas de règles précises dans le clan. C’était contre leur nature. Mais par contre, certains comportement qui provoquaient le dégoût, le mépris chez les autres étaient considérés comme inacceptable. Si la fourberie et la méchanceté étaient considérés comme « normales » la lâcheté totale, la faiblesse et l’échec pouvaient provoquer la honte et la colère chez les autres.

Karal savait pourquoi elle était là. Les siens n’avaient pas l’habitude de tourner en rond avec des situations comme celle-là, et d’attendre indéfiniment. Et, comme de raison, elle s’attendait à ce qu’on soit encore plus dure avec elle, car venait à peine de sortir de la période de transition entre l’enfance, et le moment ou elle devenait à part entière membre de la tribu. Personne ne la défendrait, personne ne serait obligé de vérifier si les chef d’accusations contre elle étaient justifiés.

Le chef, dans son coin, la regardait hautainement. Quelques jours plus tôt, elle voyait dans ses yeux une sorte de fierté et de satisfaction pour elle. Mais plus maintenant. En réalité, il était déçu. Très déçu.

-Je m’attendais à beaucoup mieux de ta part, dit-il enfin à son intention après un court soupir. Voyons ce que tu as fais…

Elle pencha légèrement la tête et fit un petit sourire ironique. Elle savait qu’elle n’était coupable de rien du tout. Mais à quoi bon se défendre? Elle préférait ne rien dire. De toute façon, la parole n’était pas à elle. Alors, quelqu’un d’autre prononça, d’une voix claire qui se termina avec un court écho dans la salle vide, et froide :

-Par sa faute, un dragon blanc s’est échappé,…
« Mouais. Facile à dire… », pensa-t-elle maussadement.
-… Le dragon Rouge, placé sous son entière responsabilité, s’est retrouvé mourrant, sur le point de s’évader lui aussi…
« (soupir) N’y suis pour rien. »
-… Aurions pu faire facilement l’acquisition d’un superbe et puissant dragon d’ombre, mais par sa faute, nous a glissé entre les mains…
« Au propre comme au figuré! Hé, hé! »
-…Et a volontairement manqué de servir les intérêts du clan.

Dans le fond, elle savait que ces gens ne prenaient pas le fait de "servir les intérêts du clan" très à coeur pour tous, mais elle devina que c'était sourtout d'avoir perdu le Sournois qui motivait cette phrase.

Les personnes présentes, simples curieux ou membres siégeant à la longue table aux côtés du chef, haussèrent les sourcils. C’était tout simplement un échec dégradant.

HRP : dsl, je n’ai pas terminé le procès, mais le temps me manque… silent

C’était tout simplement un échec dégradant, mais elle avait les pensées ailleurs. Karal pensait aux dernières paroles du dragon d’ombre.

* Grâce à toi, il va bien. *

Qu’est-ce que ça voulait bien dire? Karal se moquait de se qui allait lui arriver. Elle avait seulement hâte de le revoir. Le revoir. Comment ce fait-il qu’elle aille ces pensées en têtes? C’était étrange. Elle savait bien qu’elle s’en sortirait toute seule, mais lui? Allait-il bien? Par deux fois, il avait frôlé la mort. Elle enrageait de ne pouvoir sortir de cette pièce. Elle avait seulement hâte d’en finir avec ce procès stupide. Mais on la tira de ses rêveries.

-Quoi?
-Nous te demandions ce que tu avais à répondre de tout cela.

Elle haussa les épaules négligemment.

-J’allais les empêcher de s’enfuir, mais un imbécile m’en a empêché.
-Ils étaient sous ta responsabilité. Pas sous celle d’un autre.
« Ils me l’ont déjà dit trois fois… »
-Pourquoi ne les as-tu pas vu venir avant?

Là, c’était vrai, c’était peut-être de sa faute. Elle avait eu l’esprit ailleurs à ce moment là. C’était tout.
Mais, à cet instant, Karal se rendit compte à quel point les autres étaient venus à l’haïr. Le lien si fragile qui servait à se faire respecter au minimum s’était brisé, Les matrones, assises à la table, regardait la jeune fille comme si elles étaient sur le point à lui cracher dessus. Dans leur société, il n’avait pas de place pour la compassion ou la pitié. Soudain, son visage devint froid. Pour se protéger, elle devait les considérer comme ennemis, à présent. Tout. Car ils la considéraient comme tel, à partir de maintenant. Elle avait compris. Il était évidant qu’ils n’accepteraient pas une traîtresse envers le clan parmi eux. Il l’éliminerait, tout simplement. Karal n’avait pas peur. Ça non. Mais elle savait tout les regrets qu’elle aurait. Elle ne voulait pas mourir, il en était hors de question! C’était tout simplement idiot de crever pour une telle raison! Elle savait au fond d’elle-même qu’il y avait d’autres choses, dans sa route. Quelques chose de différent. Cette vie-là n’était pas faite pour elle, elle le sut dès cet instant. Elle entendait les autres parler entre eux, mais ne les écoutait pas. Elle tenta de communiquer avec son dragon.

*Orkro?*
*Grrrrr.*

Karal fut soulagée. Elle sentait qu’il allait bien. Elle vit à travers ses yeux qu’il était de nouveau dans sa cage. Elle ressentit la plus grande tristesse venant de sa part. Il avait presque réussit à s’en aller! Si près du but.

* Écoute, Orkro. Tu veux toujours t’en aller?*

Le dragon prit cela pour de la provocation. Il rugit furieusement.

* Je suis sérieuse. Je viendrai. *

Le Rouge ne voulut pas le croire, mais il sut qu’elle était sincère. Ne sachant pas quoi penser, il rompit le lien mental.

Quand le chef déclara sa condamnation, elle ne l’entendit que d’un oreille. Mais elle fut heureuse d’entendre que sa vie s’éteindrait, selon ce qu’ils avait prévu, durant la nuit. Dehors, le soleil s’approchait de l’horizon. C’est alors que Karal eut un vertige. Elle se rendit compte qu’elle ne s’était pas reposé depuis presque 24 heures, et rien mangé depuis autant de temps. Bien qu’elle ne soit pas comme les humains et qu’elle soit beaucoup moins sensibles à ces facteurs, il y avait des limites.

Tranquillement assailli par les Elfes Noirs décidément bien tenaces, le Dragon fait de volutes noires somnolait. Il restait vigilant à son environnement, ne serait-ce que pour contrôler en permanence la consistance de son corps. S'il s'endormait, ils le prendraient... Un pensée lui traversa l'esprit, le faisant bien rire. Alors il posa un peu plus la tête confortablement sur ses pattes, et ferma les paupières sur ses yeux couleur d'ombre. Et aussi soudainement qu'il leur avait échappé, les Elfes autour de lui furent le toucher. Ils avaient un Dragon endormi devant eux, les piqûres des lames n'aideraient pas, elles risquaient plutôt de le faire revenir à lui. Autant en profiter. Le Dragon savait très bien qu'il pouvait dormir en paix, et qu'il se réveillerait dans une cage. Cela l'amusait. D'autant que les Elfes noirs allaient en baver pour le transporter... Dans les esprits qui lui étaient ouverts, un petit ricanement se faisait entendre comme un bruit de fond, discret et joyeux.

Et il se réveilla, effectivement, dans un cage. Il ne regrettait pas sa manœuvre, surtout qu'il avait fait un beau rêve. Maintenant qu'il était conscient, il se rendait compte qu'il avait partagé le rêve de Craz, même s'il n'était pas certain que ce dernier se soit rendu compte de sa présence. Il était sensé protéger pour éviter des incidents, mais tout s'était bien passé. Les angoisses du jeune elfe était calmées, les rêves qui venaient à lui étaient à présent paisibles, des blagues à ses semblables, des espiègleries en tout genre, des petites chasses aux Elfes dans le bois, mais sans cauchemar cette fois-ci... C'était ce qu'il faisait d'ordinaire, en réalité et dans les songes, et ce n'était pas plus mal... Et il veillait toujours...
Les yeux noirs de la bête glissèrent sur son entourage. Il était dans une cage aux côtés du dragon rouge dompté par la jeune fougueuse. Ce dernier semblait dormir, mais il savait très bien qu'il l'épiait depuis son arrivée. D'ailleurs, à en juger par le souffle court de ceux qui les gardaient, elle était plutôt récente. Ils avaient dû bien rigoler pour le descendre de là-haut...

Reposant sa tête entre ses griffes, geste qui était devenu une moquerie à l'encontre de ses geôliers, le Sournois se demandait ce qui pouvait bien l'attendre après ça. Les Elfes noirs ne se contentaient pas de capturer les Dragons, il tentaient aussi de les contrôler. Pour lui, aucune chance qu'il réussissent. Sa carapace mentale était bien plus dure que tous les autres Dragons... Pourtant, un jeune Elfe inexpérimenté lui avait prouvé qu'il avait une faille... Devait-il craindre que cela ne se reproduise ? Bah... I pouvait bien attendre encore un peu. En attendant il voulait voir l'effet que ça faisait d'être un captif. Ce serait sûrement la seule chance de sa vie de le savoir...

Du coin de l'œil, alors qu'il se préparait à nouveau à partir dans les nues, le Sombre vit le Dragon rouge lever la tête. Il répondait à un appel mental, c'était évident. Et sa soif de liberté passait outre les barreaux de la cage...

*Tu veux sortir d'ici ?*

Le Rouge grogna. Il considérait le Noir plus comme un ennemi qu'autre chose, et n'avait aucune raison de l'écouter. cela, lui-même le savait très bien.

*Je peux sortir quand je veux, sans effort. Je pourrais t'aider.*

Deux grands Drows qui affichaient un air particulièrement pas commode escortèrent Karal jusque dans sa case. Elle mourrait d’envie de faire un détour vers l’endroit ou Craz était soigné, mais les solides mains qui étaient posées sur ses épaules et les épées pointées sur elle lui dissuada l’idée de résister à ses surveillants. Ce n’était pas la ruse qui lui manquait, mais elle trouva plus prudent d’attendre le moment, disons… opportun pour se faufiler vers la liberté. En fin de compte, elle n’avait rien à perdre.
Les deux Elfes noirs l’accompagnèrent jusqu’à une case réservée aux fautifs ou aux condamnés qui devaient rester isolés. D’habitude, il n’y restait pas longtemps… L’abri peu confortable se situait à moitié creusé dans le roc du sol. Elle détendit les quelques marches en leur jetant un air insouciant et arrogant. Insensibles, ils firent demi-tour, et entendit le bruit d’une lourde porte se referme, d’une clé dans une serrure, et d’un sortilège de verrouillage.

La pièce fut instantanément plongé dans le noir. Il n’y avait aucune fenêtre. Mais une faible lueur dans deux coins de la chambre laissait supposer qu’il y avait quand-même des petite tunnels d’aération. Karal ne se souciait pas du manque de lumière, elle voyait parfaitement bien dans l’obscurité.
Karal, chancelante, s’appuya sur un mur rugueux de l’unique pièce. Comme elle avait faim! Les récents évènements précipités lui avait fait oublié de se nourrir. Bien sûr, elle aurait pu résister longtemps encore, son endurance était très bonne, mais tout de même…

Elle leva la tête, observa les lieux. Rien de spécial, un lit humide dans un coin, une table de bois sur lequel on venait de poser un plat et un verre à son intention, et une chaise qui laissait douter de sa solidité. Karal avala d’un trait le verre, et engloutit le repas froid. Satisfaite, elle se dirigea vers le lit. Habituellement, quelques heures seulement de méditation profonde lui permettait de se reposer amplement, mais cette fois-ci, l’Elfe Noire s’accorda le luxe de dormir. Elle s’installa, mais pensa à une manière de se sortir de là. Hum… Pas évidant. Elle devait tenter le tout pour le tout avant qu’ils viennent la chercher pour son exécution. Sinon, il serait trop tard.

Elle tenta de prendre une nouvelle fois de s’infiltrer dans l’esprit d’Orkro. Par ces yeux, elle vit le dragon d’ombre en cage. Mais il n’avait pas l’air contrarié, au contraire…

*Je peux sortir quand je veux, sans effort. Je pourrais t'aider.*, avait dit le Sournois

Et Orkro lui avait répondut, las:
*Qu'est-ce que j'ai à perdre?...*

Karal réfléchit un court instant, puis d.cida de ne pas intervenir.
« Bof, conclut-elle en soupirant. De toute façon, qu’est-ce que je peux y faire? »

En espérant que cette négligence ne lui causera pas trop de soucis, elle s’endormit avec l’intention de se réveiller pas plus de deux heures plus tard.

Quand Karal se réveilla, elle était pleinement reposée. Elle s’étira avec insouciance, s’assit sur le lit poussiéreux et rassembla ses esprits. S’évader de là ne sera pas aisé, elle devait faire preuve d’imagination. Elle sa leva et alla examiner la serrure. Elle demanda mentalement l’aide de son dragon, et tenta, avec sa force magique dont elle bénéficiait d’ouvrir la porte. Mais aussitôt, elle reçut un grand choc électrique qui la projeta douloureusement par terre. Sonnée, grimaçante, elle se releva avec peine en se massant les tempes.

« Bien…, songea-t-elle maussadement. Dans ce cas… »
Elle chercha une idée. Elle devait faire vite, ils viendraient la chercher dans peu de temps.

Encore tremblante, elle marcha vers les petits conduits d’aération qu’elle observa. Leur diamètre était tel qu’elle parvenait à peine à y faufiler sa main.

« Bon, eh bien… Je crois que c’est la seule manière de sortir.»

**Orkro! J’ai besoin de toi!**
**GRRRRR!**

Il était en colère car lui aussi avait ressentit le choc qui protégeait la porte.

**Orkro, je dois me dématérialiser.**

Il fut surprit. En effet, il doutait qu’ils disposent une force magique assez grande pour un tel sort. Car si ils le tentaient, et que le plan échouait, Karal mourrait. Le risque était terriblement grand. Le dragon rouge ne dit rien, mais sa dragonnière ressentait ces pensées. Elle décida de demander de l’aide à quelqu’un d’autre. Elle tenta d’atteindre le Sournois par télépathie. Il devait l’aider à passer par le petit tunnel du conduit d’aération.

*Qu'est-ce que j'ai à perdre?...*
*Pas grand'chose, en effet...*

Faisant fi les gardes postés devant les cages, le Sournois sortit de la sienne. Simplement. Ceux-ci virent bientôt que le grand dragon était dehors, et commençaient à hurler pour appeler du renfort, mais tout ce qu'il faisaient était inutile. Le Sombre les ignora d'ailleurs superbement, et se dirigea tranquillement vers la cage de son compagnon. Les Elfes noirs à présent plus attentifs à leurs prisonniers et aux évènements comprirent vite leur impuissance. Car le noiraud se rapprocha tellement des barreaux qui retenaient le rouge qu'il les toucha... mais en fait non. Car il passa au travers. Son cou pénétra à l'intérieur de la prison de son semblable, et il y entra. Evidemment, il n'y avait pas assez de place dedans pour deux de ces immenses créatures qu'ils étaient... Mais tout comme il l'avait fait pour le métal, le Dragon noir traversa le rouge. Avant que sa queue ne redevienne indépendante du corps de ce dernier, le Sournois plia le coup vers lui.

*Tu peux me toucher. Mors ma queue, et suis-moi.*

Le message n'était pas compliqué, et le Rouge n'allait pas se faire prier. Il mordit donc la queue qu'il croyait intangible, pour se rendre compte qu'il pouvait le faire. Le grand dragon étouffa une douleur muette, puis son compagnon sentir son corps devenir plus léger... Il savait qu'il pouvait le suivre dehors à présent... Il fit un pas vers la liberté, mais une brusque douleur lui fit déserrer les mâchoires. Il se cogna le museau contre la paroi de fer. Il s'en était fallu de peu... Il imaginait sans mal ce qui serait arrivé s'il avait eu les barreaux au milieu du corps...
Le Sournois se retourna vers lui, fort surpris par cet incident incongru.

*Que se passe-t-il ?*

Le Rouge grogna. Pas à son encontre, mais en direction d'une autre geôle invisible. L'amie de Craz. Il avait dû se passer quelque chose. L'esprit entrouvert du Dragon lui fit ressentir la même sensation fulgurante, qui expliquait le revirement... Puis il sentit une âme le frôler. C'était elle ? Il l'écouta. Oui, il pouvait bien faire cela...

*Où es-tu ?*

La jeune Elfe Noire répondit, et le Noir se rappela alors avoir aperçu des Elfes forts bien bâtis revenir de ce qui lui paraissait à présent être plus qu'une simple hutte. Il avait compris. Elle voulait sortir. Sans quoi elle mourrait. Cela, il ne le désirait pas. Pourquoi ? Une notion encore bien étrangère... Elle était rattachée à Craz, qui donnerait sa vie pour elle. Lequel était à présent lié à lui par un contre-coup qu'il ne s'expliquait pas...

*Je viens.*

Et il vint. L'Elfe Noire vit soudain surgir juste au dessus d'elle le dessous de la tête du Sournois.

D’ordinaire, Karal était peu impressionnable. Mais cette fois-ci, l’arrivée subite du dragon d’ombre la fit sursauter comme jamais. Après avoir prit deux secondes pour reprendre ses esprits, elle ne put s’empêcher d’ajouter, admirative :

-Quels pouvoirs…

Elle avait craint que le Sournois ne daigne pas accorder d’importance à sa requête, mais son arrivée inattendue l’avait encouragée. Puis, elle en vint aux choses sérieuses. Elle expliqua en gros son problème.

-Tu dois savoir pourquoi je suis ici. Dans environ deux heures, on viendra me chercher pour m’exécuter. Je ne peux sortir seule, je ne suis pas assez puissante. J’ai pensé… Eh bien, que tu pourrais m’aider. Ce n’a pas l’air de te poser de problème, à toi. Fais-moi seulement partir de cette pièce, et je m’arrangerai.

Évidemment, Karal s’obtient de lui dire qu’avant de quitter définitivement le village, elle tenait à aller rendre une dernière visite à celui avec qui elle avait en partie partagé tous ces évènements particuliers, à l'Efle noir qui vacillait entre la vie et la mort probablement par sa faute, à Craz.

Sa prison étant trop petite pour l'accueillir toute entière, c'est pourquoi ce que voyait l'Elfe Noire n'était qu'une parcelle de la tête du Dragon. Son rire résonna bruyamment dans sa tête. Il voyait en effet son air surpris et perdu, et sa remarque ne fit que l'accroître.

*Ceci n'est pas un pouvoir, petite Elfe... Tous les miens ont cette capacité...*

Le Sournois comprenait pourtant que cela semble extraordinaire. Dans ce Monde, aucun Dragon ne pouvait traverser la matière, il s'en était rendu compte. Il semblait donc or du commun, même si cela lui paraissait normal...
Les gardes s'activaient déjà devant la porte de la cahutte pour l'ouvrir, espérant juste ne pas arriver trop tard, alors que l'amie de Craz expliquait calmement sa situation à la bête. Elle s'était vite reprise. Quel sang-froid ! Les bipèdes étaient surprenants. Avant de les côtoyer d'aussi près, le Sombre n'aurait jamais cru que cette sérénité puisse exister ailleurs que chez les Dragons. Beaucoup de ses préjugés étaient infondés, il s'en apercevait petit à petit, mais il sentait qu'il finirait par y remédier... Même en face de la mort, l'Elfe noire réfléchissait froidement, et c'était sans doute ce qui allait la sauver.
L'œil noir se ferma quand la tête gigantesque glissa vers elle, pour s'éloigner ensuite à la faveur de son cou.

*Accroche-toi. Et ne lâche surtout pas.*

Dans la position où le Sournois lui présentait, les crêtes de son cou étaient accessibles, pouvant facilement servir de prise à la jeune Elfe. La liberté n'était qu'à un pas, il suffisait qu'il le fasse pour elle. Maisil attendrait qu'elle soit solidement harnachée à lui pour remonter, la manœuvre en elle-même était plutôt aisée...

Suivant sa directive, l'Elfe Noire leva les bras, et entoura le cou du Sombre, s'agrippant le plus fermement possible de ses mains. Elle n'avait pas réfléchi, mais la recommandation du Dragon était sans aucun doute la bonne.

*Grimpe.*

Un petit sursaut de la part du Sournois donna l'élan nécessaire à la jeune fille pour lui permettre de suivre son commandement. Avec un peu d'aide, elle se retrouva donc à califourchon sur la longue encolure, glissant d'elle-même, portée par la gravité, contre les épaules de l'immense créature, calée entre ses crêtes.
Sentant que sa passagère était stable sur lui, à défaut d'être à l'aise, la bête s'évapora. Juste au moment où les gardes elfes noirs s'engouffraient à l'intérieur de la petite prison. Trop tard. Le dragon s'était déjà envolé.

*Allons voir ton compagnon. S'il ne sort pas, il sera celui sur lequel ils vengeront tes actes.*

Toujours immatériel, l'amie de Craz sur le dos, transformée avec lui, le dragon survola le campement. Il fut rapidement près des cages, et ne prit pas la peine de redonner des instructions. Ses premières explications suffisaient. Lorsque l'ombre passa entre les barreaux, le Rouge saisit sa chance... et la queue du dragon mise à sa portée. Il s'envola à la suite de son congénaire, ne le lâcha que lorsque son corps fut hors de portée des traits des Elfes. Alors, le Sombre se rapprocha, pour faire un petit échange. Du cou du Sombre, l'Elfe Noire s'assit sur le dos du rouge, son dragon. Aussitôt, et sans une once d'explication, le Sournois replongea vers le camp....

De nouveau sur Orkro, Karal ne put s’empêcher d’éclater de rire. Un rire qui aurait glacé le sang à quiconque n’avait pas l’habitude de côtoyer des personnages… sombres. Ça avait été trop facile! Elle était totalement libre, plus que n’importe quand auparavant. Elle n’avait jamais été aussi libre, et à présent qu’elle y avait goûté, elle sur que jamais elle ne retournerait vivre dans un endroit comme celui-ci, même avec les meilleurs contions que l’on puisse avoir, avec toutes les richesses de la terre, ou avec le pouvoir le plus incontestable. Elle portait aussi une haine redoutable envers ceux qui l’avait condamnée, avec qui elle avait passé toute sa vie. C’était un temps nouveau. On allait voir de quoi la petite Karal était capable! Orkro sentit cette forme de joie envahir sa dragonnière, ce qui le fit frissonner. Karal était animé d’une dangereuse détermination. Malgré tout, le dragon Rouge ne l’osait pas se l’avouer; il était heureux d’avoir enfin quitté cet endroit.

Elle reprit son calme et calma son ardeur quand elle vit le Sournois plonger. Elle pencha la tête, contrariée.

-Orkro, suis-le.

-Ils vont nous capturer de nouveau.

Les yeux de Karal s’agrandirent, ainsi que son sourire. C’était la première fois que son dragon lui adressait la parole!

- Vas-y, je m’occupe de ceux qui s’opposeraient à nous.

Karal avait peut-être parlé un peu trop vite; on lui avait confisqué ses armes! Enfin, presque toutes… Toujours est-il que le Rouge, ne s’opposant pas à sa cavalière, descendit subitement pour rejoindre le Noir.

Le vent sifflait sur ses écailles alors qu'il piquait vers le sol. Il perçait l'air comme si c'était un ennemi invisible, se rapprochant toujours plus rapidement du camp qui montait vers lui à une vitesse extraordinaire. Il aimait cette sensation, celle de plonger droit sur la mort pour la narguer juste au dernier moment... S'il ne voulait il pouvait même l'éviter juste à l'instant au son museau toucherait le seul, il s'enfoncerait alors dans les entrailles de la terre... Mais cela ne durerait pas. Il n'y prenait pas autant de plaisir qu'à l'accoutumée, et c'était tant mieux. Il devait garder l'esprit clair. Cette fois, il s'arrêterait avant, il avait un but...
Une masse le frôla. Le Sombre faillit sursauter... ce qu'il aurait sans doute fait s'il n'avait été en plein vol. Le dragon de sang venait de le rejoindre, il s'était mis à sa hauteur. Le Sournois, furieux, balança la tête vers lui, sans se soucier de perturber sa trajectoire.

*Imbéciles ! Allez-vous en !*

Ses mots étaient plus un grognement qu'une parole, qui se fit comprendre dans l'esprit de la draconnière et de sa monture comme une agression mentale. L'intention du Dragon était bien de les blesser, au moins un minimum pour les choquer, pour qu'il s'arrêtent...
L'allure du Rouge ralentit. Mais le Noir ne prit pas la peine de vérifier s'il le suivait toujours. Il s'en moquait. Ce qu'il avait à faire, il le ferait, il ne pouvait pas éternellement les surveiller... S'ils s'attiraient des ennuis, cette fois, il devrait les laisser s'en sortir seuls... Il sera bientôt trop occuper lui-même pour les aider...

L'Ombre fila vers le sol, à nouveau immatérielle. Ele vira bientôt de bord, pour passer à ras du sol, soulevant à peine la poussière qu'elle traversait... Elle ne bousculait rien ni personne, même si ceux qui croisaient sa route avaient le réflexe de s'écarter... Insaisissable... Elle avait un but, c'était évident, mais personne ne pouvait l'arrêter... Puis, elle passa au travers d'une tente, , avant de s'arrêter un peu plus loin pour se poster au dessus... L'Ombre n'avait plus du tout la forme d'un Dragon...

Dans la tente, tous sentirent une vague d'énergie négative les traverser, mais peu nombreux furent ceux qui en tremblèrent. Les elfes noirs fussent-il guérisseurs et non combattants, étaient habitués aux phénomènes étranges et surnaturels, et ne s'inquièteraient pas pour si peu... Mais au chevet d'un malade, l'un d'eux était pris d'une sourde angoisse... Son patient, inconscient depuis de trop nombreuses heures, n'aurait pas dû se réveiller si brusquement... Les yeux bleus éclairaient son visage noir d'une lumière singulière et toujours aussi désarmante. Il n'avait pas bougé pourtant, et son regard restait fixé au plafond comme s'il n'avait rien d'autre à regarder...

- Un oiseau noir...

Le guérisseur se pencha sur le jeune elfe noir. Craz avait ouvert les yeux comme s'il sortait d'une longue nuit, mais ne semblait pour autant pas réellement conscient. Il avait senti l'onde, comme chacun d'entre eux, et c'était cela qui avait causé son retour parmi eux... mais ce n'était pas vraiment ça. Les yeux d'azur étaient vitreux, vides de toute expression... Pourtant, le jeune assassin parlait...

- Ce grand oiseau noir... Il est venu me chercher...

Le guérisseur s'était toujours étonné de la couleur de ces yeux... Il était très rare de voir d'autres couleurs apparaître chez ceux de leur race, autre que le rouge... Cela faisait ressortir l'effroi chez ceux qui les voyaient, mais pour l'elfe aux yeux bleus, il en était tout autrement. Cela apportait une certaine douceur à son visage, douceur qui était trompeuse, car il avait hérité de toutes les qualité combattantes des siens... mis à part la discipline... Mais dans ce cas, cette lueur sur son visage avait quelque chose d'irréel... Voyait-il ce que qui l'entourait ? Savait-il où il était ?Avait-il connaissance de ce qu'il y faisait ? Un point positif rassurait pourtant le guérisseur qui avait pris en charge le jeune insouciant : et état de stase bizarre ne l'avait entraîné à faire aucun geste brusque, et ne mettait donc pas ses jours en danger... Pourvu que sa dure... Mais l'atmosphère qui régnait lui disait tout autre chose... Crispé en contemplant le visage immobile de Craz, le médecin ne pouvait qu'attendre...

L'Ombre au dessus de la tente observait. Elle dominait le campement dans son entier, comme un totem suspendu et inviolable. Elle étendait ses ailes de chaque côté de son corps, qui semblaient faites d'un feu noir... Son cou élancé se balançait lentement, sous une tête fine au bec pointu... La traîne de sa queue arrivait jusqu'au sol, mais aucun elfe noir ne se risquait à y toucher...
Longtemps, le camp resta immobile, dans une admiration malsaine de cette créature pourchassant le ciel... Puis, des gardes arrivèrent enfin, comprenant que l'attention du céleste était retenu par ce qu'il y avait dans la tente. Le lien avait était tôt fait avec ce qui venait de se produire, il était notoire que la fugitive avait aidé le blessé qui y résidait... Et si cette forme indistincte était le dragon qui l'avait aidée à s'échapper, alors il était de leur devoir de l'empêcher d'agir à nouveau, et de le capturer...
Votant d'un oeil invisible mais circonspect les elfes noirs se mettre en mouvement, le Phénix d'encre bougea lui aussi, comme s'il n'avait attendu que ça. Il avança lentement, son grand corps semblant léviter plus que voler, il ne battait même pas des ailes... Il s'approcha des soldats, qui firent tout leur possible pour ne pas paraître impressionnés. Mais il ne les toucha pas. Il se retourna soudain vers l'entrée de la tente, et rapetissa à vue d'œil. L'ombre y entra, ayant adopté une forme vaguement humaine...

Le guérisseur ne manqua pas l'entrée théâtrale de la créature dans le sanctuaire. Il avait fixé ses yeux sur la scène à l'instant même où les gardes avaient fait leur apparition. Et l'Ombre avançait à présent inexorablement... vers lui. Il se plaça devant son patient, espérant le protéger de cette créature. Se pouvait-il que Craz dans cette demi-conscience ait raison ? Etait-elle venue pour lui ? Une fente s'ouvrir sur le visage mal dessiné dans les volutes de fumée, comme un sourire. Le médecin se sentait impuissant. Cette forme était intouchable, il ne pouvait l'empêcher d'obtenir ce qu'il voulait... Alors, dans une tentative qu'il savait vaine, il essaya de le raisonner.

- Vous ne devez pas le prendre avec vous... Il est encore très faible... Il a besoin de soins...

L'Ombre arrêta de sourire. Elle s'arrêta tout court, à quelques pas de lui. Une voix émana du corps immatériel, comme si elle venait des tréfonds de l'enfer.

- Il est en danger ici...

Craz risquait de payer de sa vie la faute qui incombait à son amie... Il ne méritait aucun châtiment, il n'avait commis aucun crime, mais la justice des Elfes Noirs était ainsi... La créature ne la connaissait que trop bien... Le jeune elfe noir avait déjà été puni pour son inattention, et elle y avait elle-même contribué.

- Cela suffit.

Alors que l'Ombre n'avait que très peu parlé, le guérisseur avait pu suivre très clairement le fil de ses pensées, comme si elle avait voulu lui faire connaître... La forme repris sa marche, et il constata avec un peu de surprise quand elle tendit la main vers lui, qu'elle avait une certaine consistance. Elle le poussa sans ménagement, et c'est alors qu'il vit ce qu'il n'aurait pas cru possible. Craz avait la tête tournée dans sa direction. L'Ombre défit les chaînes qui le retenaient sur la paillasse avec infiniment de délicatesse et de douceur, et le jeune homme s'assit en la regardant nonchalamment, comme s'il l'avait attendue et qu'elle était en retard... Mais au moment où elle le prit sans ses bras, le guérisseur aurait pu jurer qu'il n'avait pas repris connaissance. Le jeune assassin ferma les yeux et se laissa aller contre le corps volage. Il s'était à nouveau endormi. La créature qui le portait tourna le regard vers l'Elfe Noir qui se tenait là, pataud. Comment savait-il qu'elle le regardait, alors qu'elle n'avait pas d'yeux ? Il l'ignorait, mais c'était une conviction, une évidence...

- Merci pour lui...

Et un grand oiseau noir quitta la tente traversant la toile comme si elle n'existait pas, un jeune elfe assoupi pelotonné entre ses serres, délicatement fermées autour du corps convalescent...

Sur les ordres de sa tyrannique dragonnière, Orkro se dépêcha de rattraper de dragon d’ombre. C’est qu’il allait vite! Karal savourait l’effort de chaque battement d’ailes de son dragon. Le vent sifflait autour d’elle comme jamais elle ne l’avait imaginé, et l’adrénaline dû à cette vertigineuse descente se rependit dans tout son corps. Mais ce ne fut que de courte durée.

*Imbéciles! Allez-vous-en!*

L’agression mentale résonna dans l’esprit d’Orkro beaucoup plus douloureusement que dans celle de la jeune Elfe Noire. Aussitôt, sans avertissement, le dragon écarlate se jeta brusquement vers l’arrière, ouvrit ses ailes toutes grandes, fit un demi-looping et se retrouva ainsi à planer sur le dos. Puis doucement, il revint à l’endroit en tournant obliquement sur lui-même, comme pour faire un tonneau. Il continua ensuite à voler tranquillement et à prendre le l’altitude comme si rien n’était.

Sur son dos, Karal était un peu sous le choc. C’était ses premières acrobaties aériennes, et elle ne s’était qu’à moitié cramponnée. Assurément, elle aurait facilement pu tomber. Mais là, Orkro mourrait aussi. Enfin, était-ce certain? Aussi, elle réalisa qu’elle n’avait pas le contrôle total du dragon, surtout en plein vol. Ce qu’elle avait considéré jusqu’à ce jour comme une monture et un outil de combat lui avait fait comprendre que lui aussi pouvait parfois maîtriser une situation quand l’occasion se présentait. Karal était en colère de se bref revirement de situation. Elle se répétait qu’elle devait le punir sévèrement pour avoir désobéit. Mais elle restait silencieuse, se contentant de scruter le paysage de regarder le Sournois arriver à proximité du campement. Peut-être que le dragon noir avait eu raison? Très contrariée, Karal changea de sujet.

*Descend, Orkro.*

*Non, on ne va pas s’en sortir, cette fois*

*Je parle de la forêt. De l’endroit où on a trouvé Craz. Dépêche-toi.*

En grognant, il piqua de nouveau vers le bois sombre. À peine quelques instants plus tard, ils remontèrent, la dague de Craz tenue fermement dans les mains de Karal. Ils virent le Sournois voler plus loin. Le Rouge tourna dans sa direction et le suivit. Karal sourit quand elle vit qu’il portait quelque chose dans ses serres.

Redevenu Dragon, le Sombre avait rapidement repris de l'altitude. Lui et son protégé étaient en sécurité... pour le moment. Car le transport d'un blessé se révèlerait très délicat s'ils devaient essuyer un affrontement... même pour lui. Il ne pouvait se permettre de l'emmener dans les Ombres à sa suite, là, sa blessure ne guérirait jamais... pire, la moindre faille, la moindre faiblesse pouvait devenir mortelle... Et combattre ? C'était hors de question... Dans l'état actuel des choses, le Sournois n'avait donc pas beaucoup d'alternatives : il fallait voler loin, fuir le danger avant qu'il ne se présente à eux...
Le Noir vit bientôt une tache rouge se diriger vers lui. Il vira de bord pour la rejoindre, c'était l'amie de Craz montée sur son Dragon. Elle tenait quelque chose entre ses mains, mais il n'accorda pas un seul regard à l'objet. Il se contenta de ralentir, et de se placer au dessus du Dragon rouge, espérant que si sa maîtresse ne comprenait pas la manœuvre, lui ferait ce qu'il fallait.

*Je ne peux pas le porter ainsi indéfiniment... Et il faut que quelqu'un puisse faire diversion en cas de besoin...*

Le Dragon planait presque, battant lentement des ailes, juste assez pour se maintenir en vol. L'autre faisait de même, et bientôt le Noir se rapprocha de lui comme s'il allait atterrir sur son dos. Cette perspective devait être plutôt intimidante pour la cavalière, mais il le fallait. Les pattes arrières qui tenaient le corps toujours inconscient s'ouvrirent lentement, laissant le temps à celle qui serait désormais en charge de prendre soin de lui d'appréhender son rôle et de tendre les bras pour le retenir. Le corps endormi glissa, passant des griffes acérées qu'il effleura à peine entre les mains de l'Elfe Noire.
Le Sournois supervisait les opérations alors que la compagne installait le jeune endormi sur ses genoux du mieux qu'elle pouvait, tout en gardant un oeil sur le camp, repérant chaque mouvement qui pouvait les inquiéter, prêt à toute éventualité. Il lorgna alors sur la longue dague que l'Elfe avait ramenée de la forêt. Elle était pour le moment posée à côté d'elle, de façon à ne pas gêner la gestuelle qui impliquait la sécurité de Craz.

*C'est la seule arme qu'il a ?*

Il y eu un léger silence, mais le Dragon reprit juste après. Il n'attendait pas vraiment de réponse, et semblait par ailleurs déjà la connaître...

*Même s'il sait la manier comme un maître, cela risque d'être insuffisant... Nous devons partir.*

L'amie de Craz opina. Elle termina d'allonger son compagnon, elle n'avait pas pu faire autrement que de le placer en travers de ses jambes. L'Elfe Noir remua légèrement, trouvant par lui même la position la plus confortable. Il posa sa tête contre le ventre de la guerrière, un sourire bienheureux sur les lèvres...

La nuit tombait de nouveau alors que les deux dragons planaient à toute vitesse dans le ciel qui s’assombrissait. Peu à peu, les épais nuages laissaient place à un ciel dégagé ou allait paraître prochainement des milliers d’étoiles. Ses yeux se détendirent et Karal se sentit mieux ainsi, dans l’obscurité bienfaisante croissante.

Quelques fois ils croisèrent des forteresses de pierres sombres ou des clans d’Orques trop occupés à s’entre-tuer pour les remarqué, des dizaines et des dizaines de mètres au-dessus d’eux.
De temps à autres, la Drow délaissait son regard du paysage qui défilait sous eux pour revenir sur l’Elfe Noir endormi sur sus jambes. Et à chaque fois, elle ne pouvait s’empêcher de sourire en voyait sa mine si insouciante et si paisible. Elle n’avait jamais vu un des leurs dans un état semblable. Tout ceux qu’elle avait eu l’occasion de voir dormir affichaient un air froid, sévère et même alerte, comme si elle l’avertissait qu’ils ne se reposaient que d’un œil et pouvaient à tout moment lui sauver à la gorge.

Mais c’est vrai, comme lui avait reproché le dragon d’Ombre, ils étaient très peu armés.
Quand elle était retournée dans la forêt avec Orkro, elle aurait pu prendre les armes des Elefs que Craz avait tués peu de temps avant, mais elle les répugnaient. Tant pis, ils pourraient trouver une ville avec un bon marché : là, ils trouveraient des armes convenables. Mais d’ici là…

Alors que le soleil avait totalement disparut derrière les immenses montagnes de Féeria, à l’horizon, Orkro maugréa soudain :

*Je suis peut-être ton esclave, mais si tu veux que je te porte encore longtemps, je devrais penser à me nourrir et peut-être me reposer, un de ces jours… *

-Hum… Vrai. Je suggère que nous nous posions dans cette vallée, là-bas. Qu’en pensez-vous?

En fait, elle s’adressait plus au Sournois qu’à Orkro.

*Je n'ai pas faim.*

Tel fut la seule et simple réponse du Dragon Sombre. Visiblement, il était même plutôt dérangé par le fait que son confrère ait envie de s'arrêter. Cela, il l'acceptait, il n'avait pas trop le choix, et resterait de toute façon façon avec eux... Mais si on le demandait à sa volonté propre, il n'avait aucune envie de ralentir... Et pourtant, il mentait. Il avait volé autant que son semblable et son estomac subissait les mêmes supplices. Ses muscles étaient légèrement courbaturés, et avaient besoin de repos... Mais il avait l'entraînement, il pourrait voler encore de longues heures... Et il n'aimait pas être alourdi par le poids de la nourriture ingurgitée. Cela le rendait plus lent... Et même s'ils pouvaient à présent se considérer hors de danger, cela ne lui plaisait pas... D'autant plus que cela l'empêcherait de se s'échapper... Les Ombres le refusent, la nourriture le maintien dans le plan matériel...
Non, il n'aimait pas ça... Mais voler en compagnie d'un Dragon au bord de l'épuisement n'aiderait pas non plus... Aussi inclina-t-il ses ailes, pour amorcer une douce et longue descente, en direction de la vallée indiquée par l'amie de Craz. Cela lui permettrait à elle aussi de reprendre des forces, et d'évaluer l'état de santé du jeune Elfe Noir... Le voyage risquait de le dégrader, et c'était cela qui inquiétait le Noir... Il devait tout faire pour qu'il guérisse...

---> "Une nouvelle vie"