Arrivée au continent

Enfin la terre était en vue, après quatre jours de navigation, Savadja ne put s'empêcher d'éprouver un soulagement. Le port se trouvait en territoire humain lui avait-on dit, et cela l'intriguait, car elle n'avait encore jamais rencontré beaucoup d'être de cette espèce étrange. Elle se demanda même si elle ne pourrait pas s'attarder un peu dans les plaines, après tout, elle y obtiendrait de l'expérience...

- Eh toi ! La sauvageonne sur le pont ! on a besoin de bras par ici !

A l'appel du marin, Savadja hésita entre tirer son sabre ou faire mine de n'avoir rien entendu, mais alors une voix dans son esprit la rappela à l'ordre... La voix du devin Golwyn, et ses recommandations :
" N'oublie pas, jeune guerrière, le sage se met au service des autres. Le mage et l'enchanteur permettent aux mortels d'améliorer leurs misérables existences, si tu veux grandir en sagesse, il te faudra vaincre l'orgeuil des filles de roi. "

*Ah ! que le grand dragon rouge emporte ce vieux corbeau !* pensa la jeune fille.

Et à contre coeur elle se résigna à prêter main forte aux marins.

Enfin ils posèrent le pied sur la terre ferme, et Savadja se dirigea rapidement vers l'intérieur du port. Elle grimpa sur les remparts, contemplant le paysage : sous ses yeux s'étendaient d'immense plaines ensoleillées, maculées de petits villages humains. S'arrachant à cette vision plutôt agréable, elle songea à redescendre et à trouver un quelconque indice sur ce qu'elle devait faire désormais. On l'avait envoyé sur le continent avec pour instruction de rejoindre les Elfes des forêts, et bien où étaient-ils les Elfes ? Et où était-elle cette forêt ?

A peine ces pensées effleuraient-elles son esprit qu'elle entendit une voix d'homme s'adresser à elle :

- Excusez-moi... Je me nomme Daveth et j'ai été prévenu de votre arrivée...

- Qui t'a prévenu ? l'interrompit la guerrière, méfiante. Elle n'utilisait jamais le vouvoiement, et cet homme ne lui faisait pas peur.

- Golwyn le devin.

L'elfe considéra l'homme qui se tenait en face d'elle, il était grand, les épaules solides, et l'épée au côté. Ses traits étaient fins, ses cheveux bruns et courts et son regard froid et intrigant. Il était entièrement vêtu de sombre.

- Comment peux-tu être sûr que je suis la personne que tu cherches ?

- On m'a fait une description fidèle de vous... princesse Savadja.

La jeune fille ne réagit pas à son nom, répondant de façon impassible :

- Tu fais erreur, mon nom est Myrna.

Daveth sourit, amusé.

- On m'avait prévenu de votre caractère sauvage... Si vous n'êtes pas princesse de l'île de Ceana, pourquoi portez-vous la peinture de leur lignée ?

Il désigna du doigt le poignet de l'elfe où s'entrelaçaient les symboles royaux. Cette fois ce fut elle qui sourit, mais elle ne dit pas un mot. Renonçant à obtenir quelque chose de plus, l'homme continua :

- Je suis le guide du seigneur Ervin dans le pays des Hommes, et j'ai ordre de vous mener à lui.

- Qui est Ervin ?

Cette fois ce fut l'homme qui garda le silence, il se mit en route vers l'intérieur de la ville, toujours amusé par le tempéramment de Savadja. Vexée, celle-ci se campa solidement sur ses jambes, bien décidée à ne pas bouger sans avoir obtenu d'abord une réponse. Voyant qu'elle ne le suivait pas, l'homme s'arrêta.

- Et bien, qu'est-ce que vous attendez ?

- Qui est Ervin ?

- Vous êtes vraiment têtue ! Je vous expliquerai tout, mais pas ici...

- Pourquoi ? Qui est Ervin ?

- Vous ne cessez jamais de poser des questions ?!

- Répond-moi !

- Bon, soupira Daveth résigné, je répond à une de vos questions, et vous me suivez sans protester, avec ma parole que vous saurez tout dans moins d'une heure.

L'elfe réfléchit, le compromis lui paraissait acceptable, elle hocha la tête.

- Si je ne peux pas vous donner plus d'explications sur l'identité d'Ervin, c'est parce que cela risquerait de le mettre en danger s'il s'averrait que des oreilles indiscrètes nous écoutaient... Cette réponse vous suffit-elle ?

Elle faillit répondre négativement, mais l'homme avait respecté le compromis, elle se devait d'en faire autant. Elle le suivit (presque) docilement à travers les rues du port. Rapidement, ils se retrouvèrent dans un quartier plutôt sombre de la ville, et Savadja sentit son sabre la démanger, mais elle se contint.

- N'ayez pas peur ! dit Daveth an souriant.

- Fais attention à ce que tu dis ! s'emporta la guerrière.

L'homme faillit éclater de rire, décidemment, elle était farouche cette petite princesse...

- Nous y voilà.

Ils arrivèrent devant une auberge un peu miteuse d'un quartier pauvre, et l'elfe pensa alors qu'elle avait toujours vécu dans le confort jusqu'ici. L'intérieur de le bâtiment était aussi terne et misérable que l'extérieur, mais la princesse ne dit rien, bien décidée à accroître sa sagesse, et donc à taire son cynisme. Daveth salua l'aubergiste, un homme grassouillet au regard d'assassin, puis monta directement à l'étage, suivi de près par l'elfe. Enfin, ils entrèrent dans une chambre où l'atmosphère était plus douce que dans le reste de l'auberge. Là, sur le lit se tenait un elfe assis, apparamment le chef de la dizaine de guerriers de son peuple également présents, debout autour de lui. Il se dégageait de lui une aura de noblesse et de force mêlés à une certaine nonchalance qui touchèrent Savadja. Son visage était fins, sa peau pâle, ses longs cheveux étaient blonds, très lisses, et une mèche retombait devant son oreille droite, maintenue par un lien de cuir. Un fin diadème d'argent ouvragés enserrait son front, et ses yeux était d'un bleu plus profond que la mer elle-même. Lorsque Daveth referma la porte derrière la guerrière, les elfes en arme dégainèrent. En un éclair, elle saisit la garde de son sabre et se plaça en position de combat.

- Baissez vos armes ! ordonna le chef.

Les guerriers obéirent, mais la jeune fille maintenait toujours fermement sa lame devant elle. Daveth sourit et annonça avec emphase :

- J'ai l'honneur de vous présenter Ervin, prince des Elfes de la grande forêt de Féeria.

La guerrière resta surprise, puis ses lèvres s'ouvrirent sur un petit sourire ironique, et elle rangea son arme.

- Prince Ervin, se déplacer jusqu'ici pour l'humble insulaire que je suis ! dit-elle d'un ton faussement comblé.

- Bienvenue, princesse Savadja, répondit le prince d'une voix égale, pour recevoir un hôte royal, l'ambassadeur se doit d'être du même rang... du moins c'est l'usage en vigueur dans le royaume de mon père.

- Hum... je vois. Rappelle-toi d'une chose Seigneur, ici je suis Myrna, et non Savadja.

Aussitôt les onze guerriers-elfes (car ils étaient onze) trésaillirent, l'un d'eux s'emporta :

- Faites preuve de respect envers le prince, petite, où nous vous ferrons vite changer de ton, princesse ou non !

- Oh ? s'exclama la jeune elfe ravie, j'attend de voir cela !

Le guerrier dégaina sous le regard amusé d'Ervin, que le caractère de la princesse intriguait... elle était bien différente de ce qu'il avait imaginé !

- Range ton couteau, tu risque de te blesser, lâcha-t-elle ironiquement.

Elle n'avait pas encore saisit son arme, convaincue que c'était inutile. Puis d'un mouvement calme, elle tourna le dos à son adversaire.

- Aurais-tu peur de m'affronter Savadja ?

D'un geste si rapide que l'oeil humain de Daveth ne put le percevoir, la princesse avait plaqué l'elfe contre le mur de la chambre, le menaçant de la lame de son sabre.

- De deux choses l'une, dit-elle à voix basse, d'abord je n'ai peur de rien, ensuite j'ai dit tout à l'heure qu'ici je suis Myrna !

Puis elle lâcha son adversaire et remit tranquillement son arme dans son dos. Elle se tourna vers Ervin, et leurs regards se croisèrent, s'affrontant presque. De longues minutes s'écoulèrent ainsi en silence, puis Myrna prononça :

- Mon séjour sur le continent risque d'être intéressant...

Le prince ne put réprimer un sourire, amusé par cette fille de roi qui ne correspondait en rien à celles qu'il avait déjà rencontré, venant des petits bois de Féeria à l'occasion des fêtes qu'organisait parfois son père. Elles étaient toute délicates, fardées, parées à leurs avantage, jalouses et impitoyables entre elles, un peu hypocrites d'une certaine façon. Au moins la princesse Savadja était-elle franche, peut-être un peu trop, mais insouciante, forte, droite, indifférente aux regards extérieurs. Oui, son séjour risquait d'être intéressant ! Golwyn les avait averti qu'ils auraient du fil à retordre, au moins aurait-il une distraction.

- Bien... dit alors Ervin, je vous propose de vous reposez la fin de la journée et cette nuit, car nous partirons avant que le soleil ne se lève demain... Hélas je crains que nous n'ayons que cette chambre de disponible... Je vais devoir la partager avec vous...

- Il n'y en a pas d'autres ? s'étonna Myrna.

- Oh ! Il y en a bien une, répondit le prince avec un sourire, mais je ne pense pas qu'elle vous conviendrait...

-Pourquoi pas ? Du moment que je ne suis pas obligée de dormir dans la même pièce que toi, tout me conviendra !

Ervin faillit éclater de rire, mais il se retint, se contentant de répondre :

- Dans ce cas, si vous préférez partager la chambre de ma garde, libre à vous !

Les onze elfes rirent alors sans retenue, et Myrna se sentit vexée, ce n'était pas encore aujourd'hui qu'elle acquerrait la sagesse !
Finalement, lorsque le prince eut enfin réussit à convaincre ses guerriers qu'il n'avait rien à craindre de la jeune elfe, et qu'ils se furent retirés de mauvais gré, Daveth prit congé.

- Adieu Myrna la guerrière, dit-il, je suis heureux de vous avoir rencontré...

Voyant la moue dubitative de la princesse sur l'exactitude de ses dires, il ajouta :

- Sincèrement.

Le regard de la princesse changea alors. Ses yeux gris, perçants et implacables, prirent une teinte de sympathie, sa voix se fit douce et un peu maladroite lorsqu'elle lui répondit :

- Ce n'est qu'un au revoir Daveth, porte-toi bien.

L'humain resta stupéfait de ce changement radical, il scrutait le visage de la jeune princesse, à la recherche d'un quelconque signe de moquerie, mais il ne trouva rien de tel. A la place de cela, il vit une certaine gène, comme un enfant pris en faute, mais cela ne dura pas.

- Et bien ? Tu préférerais que je te souhaite tous les malheurs des cinq monde ?

Le guerrier sourit, salua Ervin, puis sortit sans un mot.

Les deux elfes se retrouvèrent seuls dans la chambre de l'auberge, distants et froids. Puis Ervin brisa le silence :

- Bien, dormez donc un peu, je vais lire pendant ce temps. Je vous réveillerai dans deux heures pour prendre place sur le lit, vous pourrez lire à votre tour... ou trouver une quelconque autre occupation !

Myrna acquiesça, elle était fatiguée, et pour une fois n’avaient pas le courage de protester. Elle s ‘allongea et s’endormit presque aussitôt, pendant qu’Ervin lisait, assis sur une chaise à la solidité douteuse. Au bout de quelques pages, le prince releva la tête, voyant que le sommeil s’était emparé de la jeune guerrière, il s’approcha du lit et la détailla. Il la trouvait jolie, avec ses yeux légèrement bridés, sa peau hâlée et ses cheveux indisciplinés. Elle serrait son sabre dans sa main gauche, mais son visage ne portait aucune marque d’animosité. Il s’attarda sur les peintures qu’elle arborait sur les joues et le front. Il reconnaissait la fleur des guerriers... elle s’inscrivait dans une symbolique ancienne qu’il renonça à se remémorer. Sa contemplation s’arrêta sur les lèvres entrouvertes de la princesse d’où s’échappait un souffle paisible, au rythme duquel sa poitrine se soulevait. Elle était bien jeune, elle devait avoir moins de vingt ans, il en était persuadé. C‘était encore une enfant... une enfant grandie trop vite. Savadja. Ce prénom lui allait si bien, et ce côté sauvage lui plaisait tout en le repoussant. Il sentait en lui naître le désir d’apprivoiser cet être indomptable, de lui prouvait qu’on pouvait parfois accorder sa confiance à quelqu’un sans être trahi. Se sentant irrépressiblement attiré par le visage de Myrna, il réalisa qu’il s’était assis sur le bord du lit. Les longs cils de la dormeuse formaient de petites ombres sur sa peau bronzée, et ses sourcils noirs se fronçaient légèrement. Dans son sommeil, elle tourna la tête vers le prince, bougeant les lèvres dans une phrase murmurée que celui-ci ne comprit pas. Oubliant la raison, Ervin avança la main vers la joue de la princesse, comme pour s’assurer qu’elle était bien réelle. Lorsqu’il toucha la peau douce, une chaleur se dégagea de ce contact, mais à cet instant précis, le sabre de Myrna sortit un peu du fourreau, et la lumière qui passait par l’unique ouverture de la pièce se refléta sur la lame, tissant un éclair dissuasif qui vint frapper le visage du prince. Celui-ci recula, momentanément aveuglé, et crut que la jeune elfe allait s’éveiller, mais il n’en fut rien. Bien décidé à ne plus commettre d’idioties de ce genre, il reprit place sur la chaise et tenta de se concentrer sur sa lecture. Rapidement, il constata que le livre lui glissait des mains. La fatigue, certes, mais pas seulement. Ne pouvant quitter Myrna des yeux, il posa l’ouvrage et se leva de nouveau. Cette fois la princesse se réveilla, et elle considéra Ervin sans la moindre surprise.

- Ta lecture n’a pas l’air passionnante...

L’elfe sourit.

- Non, c’est vrai... et puis la fatigue du voyage m’empêche de me concentrer sur les lignes.

Myrna parut chercher ses mots, puis elle déclara :

- Je crois que tu devrais te reposer toi aussi...

Elle s’étonna elle-même de ce qu’elle venait de dire, mais après tout, le prince des Elfes de Fééria n’était pas désagréable à regarder, et elle ne risquait rien tant que son sabre était à portée de main. Elle fut interrompu dans ses réflexions par la réponse de celui-ci.

- Ne comptez pas sur moi pour dormir sur le sol ! s’indignait-il.

- Non évidemment ! [/color]répliqua-t-elle, [color=brown]je parlais du lit !

- Vous oubliez un détail princesse...

- Lequel ?

- Vous ETES sur le lit !

- Je le sais bien, grommela-t-elle, mais il est assez large pour nous accueillir tous les deux et...

Sans attendre qu’elle finisse sa phrase, Ervin l’avait déjà rejointe, trop heureux de pouvoir s’étendre. Tout d’abord surprise, puis amusé par ce prince qui était bien différent de l’image qu’elle s’en faisait, elle se recoucha, sans omettre de placer son sabre entre eux.

- Vous prenez vos précautions ? ironisa Ervin

- Je te dissuade de trop m’approcher Seigneur, cela me déplairait d’avoir à te tuer, rétorqua-t-elle sur le même ton.

Le prince ne répondit rien, il l’avait suffisamment approché... il s’en voulait d’ailleurs, mais sans parvenir à regretter totalement son geste. Ils finirent par s’endormir, et ne furent réveiller que bien plus tard, en pleine nuit, prévenus par la garde royale de l’imminence du départ.

==> suite Les plaines "sur le chemin"